Gravitation quantique

Traduction adaptée de «  Loop quantum gravity » de Carlo Rovelli : par J. Fric qui endosse la responsabilité des erreurs (probables) que sa traduction pourrait contenir, en cas de doute se référer à : C:\Users\jacques\Documents\Site_cosmosaf\IAP_web\Loop Quantum Gravity.htm

Une nouvelle version remaniée (2008) de cet article (non traduite) est disponible sur le lien :

http://relativity.livingreviews.org/Articles/lrr-2008-5/download/lrr-2008-5Color.pdf

 

Loop Quantum Gravity

Carlo Rovelli
Department of Physics and Astronomy
University of Pittsburgh, Pittsburgh PA 15260, USA
rovelli@pitt.edu
http://www.pitt.edu/~rovelli

(Accepted 1 December 1997)

Résumé

1- Introduction

2- Quel est le problème ?

                2-1 Le point de vue d’un physicien des hautes énergies

                2-2 Le point de vue d’un relativiste

                2-3 Cordes ou boucles

3- Historique de la théorie quantique à boucles, principales étapes

4 Références et ressources

5- Idées principales et sources physiques

                5-1 Théorie quantique des champs sur une variété différentiable

                5-2 Une hypothèse complémentaire

5-3 Signification physique de l’invariance par difféomorphisme et son implémentation dans une théorie quantique

5-4 Problèmes non traités par la théorie

6- Le formalisme

                6-1 L’algèbre des boucles

                6-2 Gravitation quantique à boucles

                6-3 Etats des boucles et états des réseaux de spin

6-4 Relation entre les états des réseaux de spin et les états des boucles et représentation sous forme de diagramme des états

6-5 La représentation

6-6 Version algébrique (représentation « boucle ») et version différentielle (représentation « connexion ») du formalisme et leur équivalence

6-7 Autres structures dans H

                6-8 Invariance par difféomorphisme

                6-9 Dynamique

6-10 Dégelons le formalisme temporel figé : la forme covariante de la gravitation quantique à boucles

7- Résultats physiques

                7-1 Technique

                               Solutions de la contrainte Hamiltonienne

                               Evolution temporelle

                               Fermions

                               Maxwell et Yang-Mills

                               Application à d’autres théories

                7-2 Physique

                               Quantification de l’espace à l’échelle de Planck

                               Limite classique

                               L’effet Bekenstein-Mukhanov

                               L’entropie des trous noirs en gravitation quantique à boucles

8- Principaux problèmes en suspens et principales voies actuelles d’investigation

                Contrainte Hamiltonienne

                Matière

                Formalisme d’espace-temps

                Trous noirs

                Comment extraire une physique de la théorie

                Limite classique

9- Brève synthèse et conclusion

9-1 Conclusion

10- Remerciements

 

Résumé

Établir une théorie quantique du champ gravitationnel et ainsi comprendre ce qu’est l’espace-temps quantique est un problème non encore résolu. Une des approches actuelles les plus actives est la gravitation quantique à boucles. La gravitation quantique à boucles est une quantification de la relativité générale, avec ses couplages conventionnels de champs de matière, mathématiquement bien définie, non perturbative, et indépendante de la  préexistence d’une trame de fond spatio-temporelle.

La recherche en gravitation quantique à boucles couvre un vaste domaine, des fondements mathématiques aux applications physiques. Parmi les résultats les plus significatifs obtenus, signalons :

-         Le calcul du spectre (discontinu) physique d’entités géométriques comme la surface et le volume qui permettent de faire des prévisions à l’échelle de Planck

-         L’établissement de la formule de Bekenstein- Hawking de l’entropie d’un trou noir.

-         Une représentation intrigante de la microstructure de l’espace-temps quantique, caractérisée par sa ressemblance, à l’échelle de Planck, avec celle des polymères

Ce maillage « d’éléments discontinus » émerge naturellement de la théorie quantique et présente une réalisation, mathématiquement bien définie  de l’intuition de Wheeler d’une «  mousse » d’espace-temps.

Les problèmes en suspens de longue date, comme l’absence d’un produit scalaire, la surcomplétude de l’approche par boucle, l’implémentation délicate de conditions physiques ont été maintenant résolues. Le point faible reste la dynamique, où l’approche n’est pas unifiée, et qui fait l’objet de débats serrés. Ici, nous proposons une vue générale des idées, des techniques des résultats et aussi des problèmes en suspens de cette théorie, candidate à une description de la gravitation quantique, et des références aux publications sur le sujet.

1- Introduction

L’approche de la gravitation quantique par les boucles a maintenant dix ans. Durant ce temps la gravitation quantique à boucles, s’est développée, embrassant un large champ de recherche, en une  théorie solide et bien définie, tentative de description du champ gravitationnel quantique.

Elle offre une description de la géométrie quantique à l’échelle de Planck, des méthodes de calcul, des prédictions quantitatives et des outils pour traiter de problèmes classiques comme la thermodynamique des trous noirs.

Nous ne savons pas si cette théorie est correcte, nous manquons de confirmations expérimentales. C’est hélas le cas, de toutes les approches actuelles de la gravitation quantique, dû à la petitesse de l’échelle, à laquelle les effets quantiques de l’espace-temps sont censés se manifester. En l’absence de confirmation expérimentale directe, nous ne pouvons comparer ces théories que sur leur cohérence interne et leur cohérence avec ce que nous connaissons de la nature.

Des problèmes récurrents, comme l’absence d’un produit scalaire, la non complétude de l ‘approche par les boucles, la difficulté d’identifier des états équivalents entre boucles, la difficulté d’implémenter les conditions réelles dans la théorie quantique, ont été résolus de manière satisfaisante.

Mais bien que la théorie de gravitation quantique à boucles soit plutôt bien établie, elle n’est pas encore une théorie « complète ». De même, sa convergence avec la Relativité Générale, n’a pas été clairement établie aujourd’hui. Le secteur, un peu branlant, concerne la dynamique dont il existe plusieurs versions qui font l’objet de discussions serrées.

Par contre, selon l’auteur, la force de la théorie réside dans sa capacité de description d’un espace-temps indépendant d’un cadre préexistant, et ce d’une manière « non perturbative » et est une authentique tentative de synthèse des concepts quantiques et des concepts relativistes.

L’autre approche sérieuse de la gravitation quantique est proposée par la théorie des cordes. Cette théorie est plus ambitieuse que la gravitation quantique à boucles, car son propos est d’unifier toute la physique connue dans une seule théorie. Au chapitre 2.3.1 nous comparerons les forces et faiblesses de ces deux approches.

Le plan du document a été fait de façon à rendre assez indépendants ses différents chapitres, ceci au prix d’une certaine redondance.

Le chapitre 6, le plus technique, étant destiné à ceux qui ont déjà de solides connaissances en physique théorique. Il peut être ignoré, et le reste peut être lu avec profit,  par ceux qui s’intéressent aux concepts originaux développés dans cette théorie.

2 -  Quel est le problème ?

2-1 Le point de vue d’un physicien des hautes énergies

 La physique des hautes énergies a connu un développement spectaculaire au vingtième siècle, culminant avec l’établissement (par un parcours quelquefois chaotique) de la théorie quantique des champs qui en représente la dynamique  et le large succès du modèle standard SU(3)xSU(2)xU(1).

Ce succès, vieux de quelques décades, nous met dans une situation assez confortable : Cette théorie rend très bien compte des résultats expérimentaux à notre portée. A l’exception des phénomènes gravitationnels, pratiquement cette théorie couvre toute la physique fondamentale.

Pour un physicien des particules, la gravitation est simplement la dernière et la plus faible des interactions. Il parait donc naturel d’utiliser la méthode qui s’est révélée si fructueuse, avec les autres interactions,  pour faire l’approche de la gravitation. L’élaboration d’une telle théorie a commencé il y a quelques décades, et son cheminement également parsemé de périodes d’enthousiasme et de déception a conduit à la théorie des cordes.

Le fondement de la théorie des cordes n’est pas bien compris aujourd’hui, et il n’est pas complètement clair, comment une théorie supersymétrique en 10 ou 11  dimensions peut être concrètement utilisée pour faire des prédictions précises et irrévocables dans notre bas monde à 4 dimensions.

Mais la théorie des cordes peut revendiquer un succès théorique remarquable et est aujourd’hui le candidat le plus avancé et celui qui suscite le plus de recherches dans le domaine de la gravitation quantique.

En théorie des cordes, la gravitation est juste une des excitations d’une corde (ou d’un autre objet étendu) situé dans un espace métrique de fond. L’existence d’une telle trame de fond d’espace-temps, sur lequel la théorie est définie, est nécessaire pour la formulation et l’interprétation de la théorie. Ceci est le cas, non seulement dans la version « perturbative » de la théorie, mais aussi si nous avons bien compris, dans les tentatives de récentes d’une définition « non perturbative » de la théorie comme la « théorie M ».

Pour un physicien des hautes énergies, le problème de la gravitation quantique se ramène au problème de la compréhension du fait suivant :

Quelle est cette théorie non perturbative mystérieuse qui donne en approximation « perturbative »  la théorie des cordes. Et comment peut-on en extraire l’information de la physique à l’échelle de Planck.

2-2 Le point de vue d’un relativiste

Pour un relativiste, penser la gravitation en termes d’excitations physique d’objets dans un espace de fond ne paraît pas être la bonne approche. Le credo des relativistes est qu’il n’y a pas d’espace métrique de fond, dans lequel la physique se déroule (sauf dans les approximations). Le monde est plus compliqué que cela.

En fait, pour un relativiste, la Relativité Générale est bien plus que la théorie d’un champ d’une certaine force. C’est plutôt le fait que certaines notions classiques d’espace et de temps sont inadéquates au niveau fondamental : Elles exigent des modifications qui sont peut-être aussi radicales que celles que la mécanique quantique a introduit.

Une de ces notions inadéquates est en particulier la notion d’espace métrique de fond (plat ou courbe), qui sert de cadre à la physique. Ce changement conceptuel  profond, a conduit à la compréhension de la gravitation relativiste, à la découverte des trous noirs, à l’astrophysique relativiste et à la cosmologie moderne.

De Newton au début du vingtième siècle, la physique semblait solidement fondée sur un nombre réduit de notions clés, comme le temps, l’espace, la causalité, la matière. Malgré une évolution significative, ces notions restaient plutôt stables et cohérentes. Dans le premier quart du vingtième siècle, la Mécanique Quantique et la Relativité, ont fait voler en éclats ces conceptions.

Ces deux nouvelles  théories ont connu de nombreuses confirmations expérimentales et se sont largement développées et nous pouvons les considérer aujourd’hui comme une base solide de connaissance de la physique. Chacune de ces théories, modifie notre conception classique de la physique de manière (plus ou moins) cohérente, mais nous n’avons pas de fondements conceptuels capables de s’accommoder des deux théories ensembles.

C’est pourquoi nous n’avons actuellement pas  de théorie capable de prédire ce qui se passe dans des situations où les deux théories s’appliquent simultanément, en particulier à l’échelle de Planck.

La Relativité Générale nous a appris que non seulement l’espace et le temps partagent avec le reste des autres entités physique le fait d’être des structures dynamiques, mais aussi et de façon plus cruciale, qu’une localisation dans l’espace-temps ne peut être que relationnelle.

La Mécanique Quantique nous a appris que toute entité dynamique est soumise à la relation d’incertitude d’Heisenberg, à petite échelle. Donc nous avons besoin d’une notion relationnelle d’espace-temps quantique pour comprendre la physique à l’échelle de Planck.

Alors pour un relativiste, le problème de la gravitation quantique va le conduire à révolutionner nos concepts encore plus en profondeur, comme la mécanique quantique et la relativité générale ont commencé à le faire, pour aboutir à une nouvelle synthèse.

Dans cette synthèse les notions de d’espace et de temps auront besoin d’être sérieusement remodelées pour prendre en compte les acquis de nos deux théories fondamentales actuelles.

A la différence de la théorie des cordes, dans ses versions perturbatives ou non, la gravitation quantique à boucles est formulée sans espace de fond qui servirait de cadre. La gravitation quantique a boucles est une authentique tentative de saisir ce que l’espace-temps quantique  est, au niveau fondamental.

 En conséquence, la notion d’espace-temps qui en découle est très différente de celle des théories conventionnelles quantiques des champs et de la théorie des cordes.

 

2-3 Cordes ou boucles ?

Nous avons décrit les cheminements intellectuels radicalement différents  qui ont conduit à la théorie de cordes et à la gravitation quantique à boucles.

Ici, nous allons essayer de comparer l’avancement des deux théories.

 Rappelons que ces théories sont des tentatives, et ceci sans vouloir faire préjudice aux physiciens qui y travaillent. Il se peut qu’une d’entre elle ou les deux se révèlent complètement incorrectes. En cela, nous n’entendons  pas qu’elles pourraient être englobées dans une théorie plus vaste, mais plus prosaïquement que toutes leurs prédictions particulières pourraient être désavouées par l’expérience. La nature ne partage pas toujours nos soucis esthétiques comme l’histoire nous l’a enseigné.

Les arbitres de la science sont les expériences, et aujourd’hui, aucune expérience ne valide directement ou indirectement, une quelconque théorie qui va au-delà du modèle standard et de la relativité générale. Au contraire, des prédictions faites par des théories qui vont au-delà du modèle standard et de la relativité générale (désintégration du proton, particule super-symétriques, particules exotiques, dynamique du système solaire) ont été infirmées aujourd’hui par les expériences menées.

La comparaison de ces théories, au modèle standard et à la relativité  qui ont connu et connaissent un immense succès au niveau expérimental, nous incite à être circonspect, et nous pensons qu’il n’est possible, pour le moment,  de comparer ces nouvelles théories que sur leur cohérence interne, leur complétude et autres critères esthétiques, dont la valeur objective n’est pas certaine (rappelons-nous la comparaison Ptolémée- Copernic).

Le mérite principal de la théorie des cordes est qu’elle nous propose une unification superbe et élégante  de toute la physique fondamentale connue, et que l’approximation perturbative est bien définie à tous les ordres. Sa faiblesse est son incomplétude, car le régime non perturbatif qui sous-tend le régime perturbatif est très mal compris, et il n’y a pas de formulation indépendante d’un espace de fond, lui servant de cadre, de la théorie.

En fait nous ne savons pas de quoi la théorie parle vraiment. Du fait de la connaissance insuffisante du régime non perturbatif, la physique à l’échelle de Planck, et les phénomènes de gravitation quantique ne sont pas facile à contrôler.

Sauf pour quelques calculs, la théorie des cordes n’a pas prédit grand-chose en physique à l’échelle de Planck. Cependant notons deux résultats physiques remarquables.

Le premier concerne des amplitudes de diffusion à très haute énergie. Une conséquence intrigante de ces résultats est qu’ils suggèrent indirectement que la géométrie sous l’échelle de Planck ne peut pas être testée, et d’une certaine manière n’existe pas en théorie des cordes.

Le second, dû à la deuxième version de la théorie consécutive aux d-branes,  est l’établissement formel de la formule (de Bekenstein-Hawking) de l’entropie de certains trous noirs.

Le mérite principal de la gravitation quantique à boucles, est qu’elle propose une formulation mathématique rigoureuse et bien définie d’une théorie quantique des champs, indépendante d’un espace de fond,  non perturbative, généralement covariante.

Cette théorie propose une description physique et des prédictions quantitatives du monde à l’échelle de Planck.
La principale faiblesse de la théorie concerne la dynamique, qui possède plusieurs formulations différentes.

La théorie a permis d’obtenir deux résultats en physique.

Le premier concerne l’établissement à l’échelle de Planck des valeurs propres de grandeurs géométriques telles que les aires et les volumes.

La seconde est le calcul de l’entropie des trous noirs normaux (du moins à l’ordre de grandeur cf chapitre 7.2)

Finalement, les cordes et la gravitation à boucles, ne sont pas forcément incompatibles. Elles peuvent être d’une certaine manière, complémentaires, ne serait-ce qu’au niveau méthodologique. En particulier les problèmes en suspens dans la théorie des cordes sont au niveau d’une formulation indépendante d’un fond servant de cadre, et la gravitation quantique à boucles est précisément un ensemble de techniques qui permettent de définir une théorie de façon non perturbative  indépendante d’un espace-temps de fond. Peut-être que les deux théories peuvent converger, du moins jusqu’à un certain point.

Il y a des similitudes manifestes entre les deux théories :

D’abord le fait évident que les deux théories partent du principe, que les excitations pertinentes à l’échelle de Planck, sont des objets unidimensionnels, qu’on les appelle cordes ou boucles. Nous avons également cru comprendre que dans un autre « living review » qui sera publié dans ce magazine, Lee Smolin explore les relations possibles entre les théories des cordes et des boucles.

3 - Historique de la théorie quantique à boucles, principales étapes

La chronologie qui suit ne prétend pas citer exhaustivement, toutes les publications sur la gravitation quantique à boucles. On indique principalement les étapes clés dans la construction de la théorie. Pour plus de références voir les chapitres suivants  (ayant regroupé par thème, pour certaines choses l’ordre chronologique parait un peu bousculé)

1986

Formulation de la connexion de la relativité générale.

 Sen, Ashtekar.

La gravitation quantique à boucles est fondée sur la formulation de la relativité générale, avec ce qu’on a appelé «  nouvelles variables » ou « variables d’Ashtekar » ou « connexion-dynamique », (par opposition à la « géométro-dynamique » de Wheeler).

Dans cette formulation, la variable de champ est une connexion autoduale, au lieu de la métrique, et les contraintes canoniques sont plus simples que dans la formulation de l’ancienne métrique. L’idée d’utiliser une connexion auto duale comme variable de champ,  et la contrainte simple associée, est due à Amitaba Sen [190 ]. Abhay Ashtekar réalisa que dans l’espace des phases étendu de SU(2) une connexion auto duale et un champ de densité de triades formait une paire canonique  [7 , 8] et il établit le formalisme canonique fondée sur une telle paire, ce qui est le formalisme d’ Ashtekar. Des travaux récents sur la représentation des boucles ne sont pas fondés sur la connexion originale de Sen-Ashtekar mais sur une variante réelle, dont l’utilisation a été introduite dans la relativité générale lorentzienne par Barbero [39 , 40 , 41 , 42 ].

1986

Boucles de Wilson solutions de la contrainte hamiltonienne.

Jacobson, Smolin.

Peu après l’introduction des variables classiques d’Ashtekar, Ted Jacobson et Lee Smolin réalisèrent dans  [128] que l’équation de Wheeler-DeWitt, reformulée en termes des nouvelles variables, admet une classe simple de solutions exactes, les traces des holonomies de la connexion d’Ashtekar autour de boucles régulières qui ne se recoupent pas elles-mêmes. Autrement dit : les boucles de Wilson de la connexion d’Ashtekar sont solutions de l’équation de Wheeler-DeWitt, si les boucles sont régulières et ne se recoupent pas elles-mêmes.

1987

La représentation de la boucle.

Rovelli, Smolin.


La découverte des solutions de boucles de Jacobson-Smolin Wilson incita Carlo Rovelli et Lee Smolin [182, 163, 183 , 184 ] à ``changer la base dans l’espace de Hilbert de la théorie “ en choisissant les boucles de Wilson comme les nouveaux états de base pour la gravitation quantique.

Les états quantiques peuvent être représentés en termes de leur description sur la base de boucles, c’est-à-dire comme fonction d’un espace de boucles.

 Cette idée est bien connue dans le contexte de la théorie en treillis canonique de Yang-Mills [211], et son application à la théorie continue de Yang-Mills a été explorée par Gambini and Trias [95 , 96 ], qui ont développé une «  représentation par boucles » continue , bien avant celle de Rovelli-Smolin. Les difficultés de représentation par boucles dans le contexte de la théorie  de Yang-Mills sont évacuées par l’invariance par difféomorphisme de la RG (voir chapitre 6.8 pour les détails). La représentation par boucles a été introduite par Rovelli et Smolin comme une représentation d’une algèbre de Poisson classique des observables « boucles ». La relation à la représentation par la connexion, fut originellement établie sous la forme d’une transformée intégrale (quelque chose de similaire à une transformée de Fourier à un nombre infini de dimensions) de fonctionnelles de la connexion en fonctionnelles de boucles. Plusieurs années plus tard, on a démontré que cette transformée de boucles était mathématiquement rigoureusement définie [12 ]. Les résultats immédiats de la représentation par boucles sont au nombre de deux :

La contrainte liée au difféomorphisme a été complètement résolue par les états des nœuds (des fonctionnelles de boucles qui ne dépendent que du nouage des boucles), ceci concrétisant les suggestions préliminaires de Smolin, sur le rôle des nœuds en gravitation quantique [195] ;

Et; (voir [184 , 196 ]) les états des nœuds, relatifs aux boucles qui ne se recoupent pas elles-mêmes, sont des solutions de toutes les contraintes quantiques ( cela a été prouvé), c’est-à-dire, des états physiques exacts de la gravitation quantique.

1988 -

États exacts de la gravitation quantique

Husain, Brügmann, Pullin, Gambini, Kodama.

L’investigation de solutions exactes des équations des contraintes quantiques et leur relation avec la théorie des noeuds (en particulier avec les invariants polynomiaux de Jones et de la théorie des noeuds) a commencé peu après la formulation de la théorie et a continué depuis [112 , 56 , 57 , 58 , 59 , 156 , 92 , 94 , 131 , 89].

1989 -

Modèles théoriques

Ashtekar, Husain, Loll, Marolf, Rovelli, Samuel, Smolin, Lewandowski, Marolf, Thiemann.


Les années qui ont immédiatement suivi  la découverte du formalisme des boucles ont été consacrées principalement à la compréhension de la représentation par boucles en l’étudiant dans des contextes plus  simples tels que,  relativité générale à 2+1 D [13 , 146 , 20 ], Maxwell [21 ], gravitation linéarisée [22] et, bien plus tard, la théorie de Yang-Mills en 2D [19].

1992

Limite classique : tissages

Ashtekar, Rovelli, Smolin.

La première indication de prédiction de la quantification à l’échelle de Planck est venue de l’étude des états qui approximent des géométries plates à grande échelle [23 ]. Ces états nommés tissages, ont une structure de type polymère à petite échelle, et peuvent être vus comme la formalisation de la « mousse d’espace-temps » de  Wheeler.

1992

Cadre algébrique


Ashtekar, Isham.


Dans [12 ], Abhay Ashtekar et Chris Isham montrèrent qu’on peut mathématiquement rigoureusement fonder la transformée de boucles introduite en gravitation par Rovelli et Smolin, et ils établirent une base pour une systématisation  des idées de boucles, fondée sur les idées de l’algèbre  

1993

Les Gravitons  vus comme des «  broderies » sur le tissage

Iwasaki, Rovelli.


Dans [125 ] Junichi Iwasaki et Rovelli étudièrent la représentation des gravitons dans la gravitation quantique à boucles Ils se comportent comme des modifications topologiques du matériau constituant le tissage de l’espace-temps.

 

1993

Versions alternatives

Di Bartolo, Gambini, Griego, Pullin.


Quelques versions alternatives de la gravitation quantique à boucles ``orthodoxe'' ont été développées. En particulier les auteurs cités ci-dessus ont développé ce qu’on a appelé la représentation des boucles «  étendue »  voir [80 , 78 ].

1994

Fermions,

Morales-Tecotl, Rovelli.

L’étude du couplage avec la matière débuta en [150 , 151 ]. Plus tard la cinématique de la matière fut étudiée par Baez and Krasnov [133 , 35 ], tandis que Thiemann étendait ses résultats à la dynamique du système couplé de Einstein Yang-Mills  [200 ].

1994

La mesure 0  et le produit scalaire

Ashtekar, Lewandowski, Baez.


Dans  [14 , 15 , 16 ] Ashtekar et Lewandowski posèrent les bases de la formulation différentielle de la gravitation quantique à boucles en construisant ses deux ingrédients “clé” :

Une mesure invariante par difféomorphisme sur l’espace des connexions (généralisées), et la famille projective des espaces de Hilbert associés à des graphes.

En utilisant ces techniques ils purent rigoureusement et mathématiquement  construire l’espace des états de la théorie, résolvant ainsi le problème en souffrance, lié à l’absence de base. (Une carence sur les critères d’identités algébriques entre les états de boucles)

En l’utilisant, ils définirent un produit scalaire cohérent et prouvèrent que les opérateurs quantiques de la théorie étaient cohérents avec toutes les identités. John Baez montra comment la mesure peut être utilisée dans le contexte de connexions conventionnelles, l’étendit à des états non invariant de jauge (permettant la définition de l’opérateur E) et développa l’utilisation des techniques de graphes [24, 28, 27 ]. D’Importantes contributions à la compréhension de la mesure fut aussi données par Marolf and Mourão [149 ].

1994

Quantification des aires et des volumes (valeurs propres) Rovelli, Smolin.
Selon l’auteur, le résultat le plus important de la gravitation quantique à boucles est la découverte que certaines grandeurs géométriques, en particulier les aires et les volumes, sont représentées par des opérateurs qui ont des valeurs propres disjointes. Ceci fut trouvé par Rovelli et Smolin dans [186 ], où le premier jeu de valeurs propres fut calculé. Peu de temps après, ce résultat fut confirmé et généralisé par divers auteurs utilisant des techniques très diverses. En particulier, Renate Loll [142 , 143 ] utilisa la technique des treillis pour analyser l’opérateur de volume et corrigea des erreurs numériques dans [186 ]. Ashtekar et Lewandowski [138 , 17 ] retrouvèrent et finirent le calcul du spectre des aires en utilisant la représentation par connexion et de nouvelles techniques de régularisation. Frittelli, Lehner et Rovelli [84 ] retrouvèrent les termes du spectre des aires de Ashtekar-Lewandowski en utilisant la représentation par boucles

DePietri and Rovelli [77 ] calculèrent les valeurs propres générales du volume. La compréhension précise des relations entre les différentes versions de l’opérateur de volume est due aux travaux de Lewandowski [139 ].

1995

Réseaux de Spin - solution au problème de la surcomplétude. Rovelli, Smolin, Baez.
Un problème depuis longtemps en souffrance avec la base de boucles était sa surcomplétude. Une étape technique mais cruciale, dans la compréhension de la théorie  a été la découverte de la base de « réseaux de spin », qui résout cette surcomplétude. Ce pas a été franchi par Rovelli et Smolin dans [187 ] et fut inspiré par les travaux de Roger Penrose [153 , 152 ], par des bases analogues utilisées dans des théories de jauge en treillis  et par les idées de Lewandowski [137 ]. Peu après, le formalisme de réseau de spin a été épuré et clarifié par John Baez [31 , 32 ]. Après l’introduction de la base réseaux de spin, tous les problèmes provenant de l’incomplétude de la base de boucles ont été trivialement résolus, et le produit scalaire a pu aussi être défini algébriquement. [77 ].

1995

Treillis
Loll, Reisenberger, Gambini, Pullin.


Différentes versions en treillis de la théorie sont apparues dans [141 , 159 , 94 , 79 ].

1995

Formalisme algébrique / Formalisme différentiel

DePietri, Rovelli / Ashtekar, Lewandowski, Marolf, Mourão, Thiemann.


La mise au propre et l’établissement des deux versions principales des formalismes fut terminé dans [77 ] pour le formalisme algébrique (le descendant direct de l’ancienne représentation par boucles); et dans [18 ] pour le formalisme différentiel ( basé sur la construction algébrique  de Ashtekar-Isham, sur la mesure de Ashtekar-Lewandowski, sur les travaux de Don Marolf sur l’utilisation de l’intégration de groupe formel pour résoudre les contraintes [145 , 147 , 148 ], et sur plusieurs idées mathématiques de José Mourão).

1996

Equivalence des formalismes algébriques et différentiels : DePietri.


Dans [76 ], Roberto DePietri prouva l’équivalence des deux formalismes, en utilisant des idées de Thiemann [205] et Lewandowski [139 ].

1996

Contrainte Hamiltonienne


Thiemann.
La première version de la contrainte de boucle hamiltonienne est décrite dans [183 , 184 ]. La définition de la contrainte a été étudiée et constamment modifiée, dans une longue suite de travaux par Brügmann, Pullin, Blencowe, Borissov et quelques autres [112, 47, 59, 57 , 56 , 58 , 156 , 92, 48 ]. Un pas important a été fait par Rovelli et Smolin en [185]  en réalisant que certains opérateurs de boucles régularisés ont des limites finies sur les états des noeuds (voir [140 ]). La recherche culmina avec les travaux de Thomas Thiemann, qui fut capable de construire un opérateur hamiltonien plutôt bien défini, dont l’algèbre des contraintes est fermée. [206 , 201 , 202 ]. Des variantes de cette contrainte ont été suggérées dans  [192 , 160 ] et ailleurs.

1996

Théorie Réelle : Solution du problème des conditions réelles. Barbero, Thiemann.

Ainsi que souvent souligné par Karel Kuchar, l’implémentation de la condition compliquée de réalité de la connexion complexe dans la théorie quantique était jusqu’à  1996, le principal problème en suspens dans l’approche par boucles. En suivant les indications avancées par Fernando Barbero [39, 40 , 41, 42], en particulier d’utiliser la connexion réelle dans la théorie Lorentzienne, Thiemann trouva une façon élégante de contourner le problème.

1996

Entropie d’un trou noir

Krasnov, Rovelli.

L’établissement de la formule de Bekenstein-Hawking pour l’entropie d’un trou noir de la gravitation quantique à boucles fut réalisé dans [176 ], sur la base des idées de Kirill Krasnov [134 , 135 ]. Récemment, Ashtekar, Baez, Corichi and Krasnov ont annoncé qu’ils l’avaient établi par une autre méthode [11 ].

1997

Anomalies


Lewandowski, Marolf, Pullin, Gambini.

Ces auteurs ont achevé récemment une analyse en profondeur du problème de la fermeture de l’algèbre de la contrainte quantique et de son origine depuis l’algèbre de Poisson classique correspondante. [140 , 90 ], poursuivant un travail préliminaire de Brügmann, Pullin, Borissov et quelques autres [54, 60, 88, 50]. Cette analyse a soulevé quelques doutes sur la convergence de la limite classique de l’opérateur hamiltonien de Thiemann avec la Relativité Générale, mais le sujet est toujours en discussion.

1997

Sommes sur les surfaces

Reisenberger Rovelli.


Une « somme sur les histoires » formulation spatio-temporelle de la gravitation quantique à boucles fut établie dans [181 , 160 ] à partir de la théorie canonique. La théorie covariante résultante se révèle être une somme sur sur des surfaces topologiquement inéquivalentes, conformément à des remarques précédentes de Baez [26 , 27, 31 , 25], Reisenberger [159 , 158 ] et Iwasaki [124 ]  qui supputèrent qu’une version covariante de la gravitation à boucles devrait ressembler à une théorie des surfaces. Baez a étudié la structure générale de théories définies de cette manière [33 ]. Smolin et Markoupolou ont exploré l’extension à la construction du cas Lorentzien, et la possibilité de modifier les règles d’évolution du réseau de spin. [144 ].

4 - Références et Ressources 

·         Pour trouver de l’information sur ce sujet consulter ``Bibliography of Publications Related to Classical and Quantum Gravity in terms of Connection and Loop Variables'', qui est très complète et classée chronologiquement.

·          La version originale fut compilée par Peter Hübner en 1989.Elle a été sérieusement mise à jour par Gabriella Gonzales, Bernd Brügmann, Monica Pierri et Troy Shiling. Actuellement est  tenue à jour par Christopher Beetle et Alejandro Corichi. La dernière version sur le net est en [44].

·         Cette ``living review'' peut être considérée comme une introduction mise à jour, à la gravitation quantique dans le formalisme à boucles. Des présentations plus détaillées mais moins à jour sont listés ci-dessous.

o    Ashtekar's book [9 ] peut servir de cours introductif, sérieux, sur les variables d’ Ashtekar particulièrement pour relativistes et mathématiciens. La partie du livre sur la représentation par boucles, est essentiellement une reprise autorisée de parties de l’article original de Rovelli Smolin  [184 ]. Pour cette partie quantique, nous recommandons l’article de préférence au livre car il est plus complet. Une introduction très directe et plus simple aux variables d’Ashtekar variables et les idées de base sur les boucles peuvent être trouvées dans le Rovelli's review paper [164 ]. Ceci est plus destiné au lecteur physicien de formation.

o    Une introduction générale récente aux nouvelles variables qui inclut plusieurs développements mathématiques récents de la théorie quantique est disponible dans Ashtekar's Les Houches 1992 lectures [10].

o    Un recueil de publications particulièrement intéressant est disponible dans the volume [29] édité par John Baez. L’autre livre par  Baez, et Muniain [36],est une introduction simple et agréable à différentes idées et techniques utilisées dans ce domaine.

o    Le dernier livre, le plus à jour sur la représentation par boucles est le livre de Gambini and Pullin [93], particulièrement documenté dans la technique des treillis et dans la variante de la gravitation quantique à boucles appelée  ``extended loop representation'' [80, 78] (qui n’est plus d’actualité aujourd’hui, mais reste une alternative intrigante à la gravitation quantique à boucles « orthodoxe ») Les deux références standard pour une présentation complète des fondements de la théorie sont : DePietri and Rovelli [77 ] pour la formulation algébrique et Ashtekar, Lewandowski, Marolf, Mourao et Thiemann [18 ] pour la formulation différentielle.

·         En plus des nombreuses conférences sur la gravitation, la communauté impliquée dans la gravitation quantique s’est réunie deux fois à Varsovie, pour les ``Workshop on Canonical and Quantum Gravity''. Nous espérons que ces conférences se tiendront régulièrement.  Ceci est sans doute l’endroit idéal, pour s’informer sur ce qui se fait dans ce domaine. Pour un compte rendu informel de la dernière session (août 1997), voir [161].

·         Entre autres, la gravitation quantique à boucles est étudiée dans les institutions suivantes:

o    Le ``Center for Gravity and Geometry'' à  Penn State University, USA. Je  recommande leur excellente page web [157], tenue à jour par  Jorge Pullin, qui vous permettra de trouver tout ce que vous cherchez sur le web.

o    Pittsburgh University, USA [100].

o    University of California at Riverside, USA. John Baez est le modérateur d’un excellent forum, sci.physics.research, traitant du domaine, voir [34].

o    Albert Einstein Institute, Potsdam, Berlin, Europe [117].

o    Warsaw University, Warsaw, Europe.

o    Imperial College, London, Europe [67].

o    Syracuse University, USA [208].

o    Montevideo University, Uruguay.

5 - Idées principales et sources physiques

La gravitation quantique à boucles s’appuie uniquement sur la Relativité Générale et la mécanique quantique. Autrement dit, la théorie est plutôt économe de ses hypothèses : c’est la quantification de la Relativité Générale, avec ses couplages matériels. En cela elle est très différente de la théorie des cordes, qui est fondée sur une hypothèse physique très forte qui n’a pas de soutien expérimental direct (Le monde est constitué de cordes).

Bien sûr la quantification est loin d’être un algorithme univoque, particulièrement dans une théorie des champs non linéaire.

C’est plutôt un problème inverse mal compris (trouver une théorie quantique avec une limite classique donnée). Des choix plus ou moins subtils sont, dans la théorie quantique et c’est ce qui est exposé ci- dessous.  

 

5.1 Théorie quantique des champs sur une variété différentiable

L’idée force, de la gravitation quantique à boucles, est de considérer la relativité générale comme essentielle. La relativité générale nous a appris que la métrique de l’espace-temps et le champ gravitationnel sont physiquement équivalents. Donc une théorie quantique de la gravitation, sera une théorie quantique de l’espace-temps.

Il s’ensuit, que la gravitation quantique ne peut pas être formulée comme une théorie quantique d’un champ dans un espace-temps métrique (comme c’est le cas, pour le modèle standard), car il n’y a pas de variété métrique (classique) quelle qu’elle soit, dans une situation où la gravitation (et donc la métrique) serait une variable quantique.

On pourrait conventionnellement, séparer l’espace-temps en deux, une partie serait une trame de fond, qui donne la structure métrique de l’espace-temps, l’autre pourrait représenter les fluctuations du champ quantique. C’est ainsi que l’ancienne théorie perturbative de la gravitation quantique, le théorie perturbative des cordes et la théorie non perturbative actuelle (M Théorie) sont construites. Ce faisant, on stipule, par exemple, que la structure causale de l’espace-temps est déterminée par la trame de fond spatio-temporelle sous-jacente, et pas par la métrique complète. A l’inverse en gravitation quantique à boucles, nous stipulons que l’identité totale entre la métrique complète et la structure causale de l’espace-temps, comme en relativité générale, est toujours valide, y compris à l’échelle de Planck. L’espace-temps garde ainsi son caractère monolithique.

Nous pouvons toujours décrire l’espace-temps comme une variété différentiable (un espace sans structure métrique), sur lequel des champs quantiques sont définis. Une structure métrique classique sera définie par les valeurs escomptées de l’opérateur du champ gravitationnel.

Alors, le problème de le la gravitation quantique se ramène à comprendre ce qu’est une théorie quantique des champs sur une variété (non pourvue d’une métrique), à la différence d’une théorie quantique des champs sur un espace métrique.

C’est ce qui donne à la gravitation quantique son parfum si particulier, si différent de celui des théories quantiques des champs habituelles. Dans toutes les théories quantiques habituelles des champs, la métrique de l’espace-temps joue un rôle essentiel, dans la construction des outils théoriques de base (opérateurs de création et d’annihilation, relations canoniques de commutations, mesures gaussiennes, propagateurs…), ces outils ne peuvent pas être utilisés, en champ quantique, sur une variété (non pourvue d’une métrique).     

Techniquement, en gravitation quantique à boucles, on surmonte le problème d’absence d’une métrique de fond, en définissant la théorie quantique comme une représentation d’une algèbre de Poisson d’observables classiques qui peuvent être définies sans avoir à utiliser une métrique. L’idée que l’algèbre quantique à associer à la gravitation quantique, n’est pas l’algèbre de la relation de commutation canonique, mais l’algèbre de Poisson de différents ensembles d’observables, a été depuis longtemps défendue par Chris Isham [118], dont les idées ont largement influencé, la genèse de la gravitation quantique à boucles.. L’algèbre de la gravitation quantique à boucles est l’algèbre des boucles [184 ]. Le choix particulier de cette algèbre, n’est pas sans poser de problèmes, comme nous le verrons plus loin.

 

5.2 Une hypothèse supplémentaire 

En choisissant l’algèbre de boucles comme base pour la quantification, nous supposons implicitement que les opérateurs de boucles de Wilson sont bien définis dans l’espace de Hilbert associé à la théorie, autrement dit  que certains états, concentrés sur des structures unidimensionnelles (boucles et graphes) ont une norme bornée. Ceci est une hypothèse subtile et non triviale de la théorie.

C’est l’hypothèse clé, qui caractérise la gravitation à boucles. Si cette approche se révèle incorrecte, ce sera probablement parce que cette hypothèse est fausse.  L’espace de Hilbert résultant de cette hypothèse n’est pas un espace de Fock.

Physiquement, cette hypothèse correspond à l’idée que les états quantiques peuvent être décomposés sur une base d’excitations de «  lignes de Faraday » (comme les états de  la QFT en espace de Minkowski peuvent être décomposés en une base de particules, qui sont les quanta d’excitation du champ).

De plus, cette hypothèse n’est pas vérifiée en théorie conventionnelle des champs, car dans ce contexte, les opérateurs bien définis et les états à norme bornée doivent se répartir au moins dans trois dimensions, les objets unidimensionnels étant trop singuliers.

Le fait que la gravitation quantique à boucles s’appuie sur une hypothèse mathématique, non valide, dans les théories quantiques des champs de Yang-Mills est probablement à l’origine de l’aversion que certains théoriciens des hautes énergies nourrissent à l’égard de la théorie quantique à boucles.

Ce qui distingue la gravitation des théories de Yang-Mills, cependant et rend cette hypothèse viable en en gravitation, même si ce n’est pas le cas dans les théories de Yang-Mills est l’invariance par difféomorphisme.

Les états de boucles sont des états singuliers qui balaient un «  énorme » espace non séparable des états. L’invariance par difféomorphisme (non-perturbative), joue deux rôles.

D’abord, il élimine la redondance infinie, ensuite il associe un état de boucle à un état de nœud, ainsi les états physiques ne sont plus réellement concentrés sur une dimension, mais sont, d’une certaine manière, projetés et répartis sur la variété entière par les difféomorphismes non perturbatifs. Ceci sera explicité dans le chapitre suivant.

 

5.3 Signification physique  de l’invariance par difféomorphisme, et son implémentation dans une théorie quantique

Les théories conventionnelles ne sont pas invariantes par un difféomorphisme appliqué aux champs dynamiques. (Remarquons cependant que toute théorie des champs, convenablement formulée, est trivialement invariante par un difféomorphisme s’il est appliqué à chaque chose, mais ce pas ce dont on parle ici). La Relativité Générale, au contraire est invariante, sous de telles transformations

Plus précisément, toute théorie relativiste, partage cette propriété. Donc l’invariance par difféomorphisme, n’est pas que la propriété du champ gravitationnel, c’est une propriété de la physique, une fois qu’on a pris en compte l’existence de la gravitation relativiste. Donc, on peut dire que le champ gravitationnel n’est pas particulièrement singulier sous cet aspect, mais que l’invariance par difféomorphisme est une propriété du monde physique, qui ne peut être écartée sauf dans l’approximation où la dynamique  de la gravitation peut être négligée. Quelle est cette propriété ? Quel est le sens physique de l’invariance par difféomorphisme?

L’invariance par difféomorphisme correspond à l’implémentation technique d’une idée physique due à Einstein. Cette idée introduit une modification profonde des notions pré-relativistes de temps et d’espace. En physique non relativiste, on stipule que les objets physiques peuvent être localisés dans l’espace et le temps, ceux-ci sont définis comme une trame de fond par une structure non dynamique. Opérationnellement, cette trame d’espace-temps peut être définie par des systèmes d’objets physiques de référence, objets considérés physiquement dynamiquement découplés du système physique étudié. Ce concept n’est plus valide, lorsqu’on s’intéresse à la gravitation dans le cadre relativiste. En physique de la relativité générale, les objets physiques ne sont localisés dans l’espace et le temps que les uns par rapport aux autres. En conséquence, si nous déplaçons tous les objets dynamiques, ensembles, dans l’espace-temps, nous ne générons pas un nouvel état différent, mais une description mathématique équivalente du même état physique. C’est cela, l’invariance par difféomorphisme.

En conséquence, un état physique en RG n’est pas localisé quelque part [180 , 169 , 177] (sauf si une jauge appropriée est fixée). De façon imagée, la RG n’est pas de la physique qui se déroule sur une scène, c’est la théorie dynamique de (ou qui inclut) la scène.

La gravitation quantique à boucles est une tentative d’implémentation de cette subtile notion relationnelle de localisation dans l’espace-temps dans une théorie quantique des champs. En particulier les excitations théoriques de base du champ quantique ne sont pas localisées quelque part (localisées par rapport à quoi ?), comme, disons, le sont les photons. Ce sont les excitations quantiques de la « scène » elle-même, pas des excitations sur une scène. Intuitivement, suite à cette discussion, nous pouvons maintenant comprendre pourquoi et comment la théorie des nœuds joue un rôle dans cette théorie.

D’abord, nous définissons des états quantiques qui correspondent à des excitations de type boucles, du champ gravitationnel, puis en appliquant l’invariance par difféomorphisme, la localisation des boucles est évacuée et devient alors non pertinente. La seule information qui reste contenue dans la boucle est son  «  type de  nœud » (un nœud est une boucle non localisée). Alors les états physiques invariants par difféomorphisme sont étiquetés par des nœuds. Un nœud représente une excitation quantique élémentaire de l’espace. Il n’est pas ici ou là, car il est l’espace par rapport au quel, ici ou là sont définis. Un nœud est un quantum élémentaire d’espace.

Réseau de spin et quanta d’espace qu’il décrit

De cette manière, la gravitation quantique à boucles, lie la nouvelle notion d’espace et de temps introduite par la relativité générale avec la mécanique quantique. Comme nous l’illustrerons plus loin, l’existence de tels quanta élémentaires d’espace est concrétisée par la quantification du spectre d’entités géométriques. 

5.4 Problèmes non traités par la théorie

Cela fait environ soixante-dix ans, qu’on s’intéresse de plus ou moins près, à la gravitation quantique. Quand on s’intéresse à deux problèmes de fond, on est tenté de penser qu’ils sont liés. Dans l’histoire de la physique, nous trouvons des exemples frappants d’unification de la sorte (l’unification de l’électricité, du magnétisme et la nature de la lumière, par exemple); mais a contrario, d’autres tentatives ont échoué  (trouver une théorie de l’interaction forte et se débarrasser des infinis des théories quantique des champs, par exemple). On a demandé, à un moment ou à un autre,  à la gravitation quantique de résoudre pratiquement tous les problèmes fondamentaux en physique théorique (et voire au-delà). Citons une liste de problèmes qu’on a demandé à la gravitation quantique de traiter, dans le passé, et sur lesquels, la gravitation quantique à boucles ne peut pas nous dire grand-chose.

Interprétation de la mécanique quantique.

La gravitation quantique à boucles est une théorie quantique standard des champs. Prenez donc votre interprétation préférée de la mécanique quantique et utilisez là pour interpréter les aspects quantiques de la théorie. Je me référerai à de telles interprétations plus avant : quand nous présenterons la quantification des aires et volumes, j’utiliserai les relations entre les valeurs propres et les valeurs mesurées par des appareils physiques classiques ; quand je parlerai de l’évolution je me référerai à l’interprétation des histoires. La manière particulière de décrire l’évolution dans le temps en théorie de la relativité générale peut nécessiter quelques variantes des interprétations standard, tels que la théorie quantique canonique généralisée [166, 168 , 165] ou la mécanique quantique généralisée de Hartle [103 ]. Mais la gravitation quantique à boucles ne peut être d’aucun secours pour les scientifiques qui pensent que la gravitation quantique va résoudre le problème de la mesure. D’autre part, la formulation d’espace-temps de la gravitation quantique qui a été développée récemment (voir chapitre 6.10) est naturellement interprétée en termes d’interprétation des histoires.  [103 , 119 , 120 , 123 , 122 ]. En fait, je pense que la solution du problème de l’interprétation de la mécanique quantique devrait faire appel à des idées relationnelles liées à la nature relationnelle de l’espace-temps révélée par la relativité générale. [179, 180].

Cosmologie quantique.

Une confusion qui est souvent faite est celle entre la gravitation quantique et la cosmologie quantique. La cosmologie quantique est la théorie de l’univers en tant qu’unique système quantique, sans observateur extérieur. [102]: La gravitation n’a rien à voir, là-dedans. La gravitation quantique est la théorie d’une entité dynamique, le champ gravitationnel quantique (ou la métrique de l’espace-temps), c'est-à-dire juste un champ parmi d’autres. Plus précisément, comme pour la théorie de l’électrodynamique, nous pouvons toujours supposer que nous avons un observateur classique avec ses appareils de mesure classiques mesurant les phénomènes gravitationnels, et donc étudiant la gravitation quantique indépendamment de la cosmologie quantique. Par exemple la physique d’un petit cube de la taille de Planck est régi par la gravitation quantique, et n’a probablement aucune implications en cosmologie quantique.

Unification de toutes les interactions

ou ``Théorie du Tout. Une critique classique à l’encontre de la gravitation quantique à boucles est qu’elle ne propose pas d’unification de toutes les interactions. Mais rien ne prouve que la gravitation quantique doive faire partie d’une théorie englobant toutes les interactions pour être comprise, même si cette idée est intéressante.

Masse des particules élémentaires

Pour autant que je sache, rien dans la gravitation quantique ne permet de supposer qu’on puisse en déduire les masses des particules.

Origine de l’Univers

Il est probable qu’une bonne théorie de  la gravitation quantique sera nécessaire pour comprendre la physique au voisinage du Big Bang. La réciproque n’est pas vraie, nous devrions, avec une bonne théorie, pouvoir comprendre la structure de l’espace-temps à très petite échelle, même si nous ne comprenons pas l’origine de l’univers.

Flèche du temps

Roger Penrose a suggéré il y a quelque temps, que nous pourrions déceler l’asymétrie du temps de l’univers observable par la gravitation quantique.

Physique de l’esprit

Penrose a aussi suggéré (décidément,  ce jour-là il était très en forme!) que la gravitation quantique pouvait expliquer l’effondrement de la fonction d’onde, qui indirectement est responsable (selon lui ?) de la physique de l’esprit. [155].

Un problème qu’on a incessamment associé à la gravitation quantique, et que la gravitation quantique à  boucles pourrait être capable de traiter est le problème des infinis « ultraviolet » dans les théories quantiques des champs. La structure, si spécifique, à petite échelle, non perturbative, de la gravitation quantique à boucles introduit une coupure physique d’échelle. Comme l’espace-temps lui-même se présente sous forme de quanta, dans la théorie, il n’y a littéralement pas de place pour les intégrations des valeurs d’impulsion très élevées qui proviennent des divergences ultraviolettes. En l’absence d’une procédure de calcul bien validée, cependant, il est prématuré de chanter victoire, les divergences chassées par la porte pourraient  très bien réentrer par la fenêtre 

6 - Le Formalisme 

Ici nous commençons la description technique des fondements de la gravitation quantique à boucles. Le point de départ de la construction de la théorie quantique est la relativité générale (RG), formulée en termes de connexion de Sen-Ashtekar-Barbero  [190 , 7, 40 ]. Des introductions détaillées du formalisme complexe d’Ashtekar sont décrits dans le livre [9 ], dans l’article de la revue [164], et dans le mémorandum de conférence [81]. La version « réelle » de la théorie est aujourd’hui la plus largement utilisée.

La relativité générale peut être formulée dans une forme d’espace des phases comme suit [9 , 40].

Considérons une variété tri dimensionnelle M (compacte et sans bords) et considérons une connexion réelle, infiniment dérivable  sur SU(2)  et une densité de vecteur    (se transformant dans la représentation vectorielle de SU(2)) sur M.

Nous utiliserons a, b,..=1, 2, 3 pour les indices spatiaux et i, j...= 1, 2, 3 pour les indices internes. Ces indices internes peuvent être vus comme étiquetant une base dans l’algèbre de Lie de SU(2) ou dans les trois axes d’une triade locale. Les coordonnées dans M sont appelées x. La relation entre ces champs et les variables gravitationnelles métriques conventionnelles sont comme suit:

    est la triade inverse (densifiée) correspondante à la métrique tridimensionnelle gab(x) d’hyper surfaces à temps constant

         (1)

g est le déterminant de gab ; et

(2)

 

 est la connexion de spin associée à la triade, (définie par , où   est la triade.   est la courbure extrinsèque de l’hypersurface à temps constant.

Dans (2 ),  est une constante, appelée le paramètre d’Immirzi qui peut être choisi arbitrairement (Il va intervenir dans la contrainte du Hamiltonien.) [114, 115, 116]. Des choix différents pour  conduisent à des versions différentes du formalisme, tous équivalent dans le domaine classique. Si nous choisissons γ égal à « i », , alors  A est la connexion standard d’Ashtekar, qui est égale à la projection de la partie auto duale de la connexion de spin quadridimensionnelle sur l’hypersurface à temps constant. Si nous choisissons γ = 1 , nous obtenons la connexion réelle de Barbero. La contrainte hamiltonienne de la relativité générale Lorentzienne, a une forme particulièrement simple dans le formalisme associé à  , tandis que la contrainte Hamiltonienne de la relativité générale euclidienne a une forme simple exprimée en termes de connexion réelle avec γ = 1   . D’autres choix de γ   sont également viables. En particulier, on a argumenté que  des théories quantiques fondées sur des choix différents de γ  étaient authentiquement physiquement non équivalentes, car elles impliquaient des “quanta géométriques” de valeurs différentes. [189 ]. Apparemment, il n’y a qu’un choix de γ qui donne le coefficient correct de 1/4  de la formule de Bekenstein-Hawking [134 , 135 , 176 , 11 , 178 , 70 ], mais le sujet est toujours débattu

La version spinorielle des variables d’Ashtekar est donné en termes de matrices de Pauli σi, i = 1, 2, 3 , ou des générateurs de su(2) τi = -i/2 σi , par

         (3)



Alors, Aa(x) et  sont des matrices complexes 2x2 anti-hermitiennes.

La théorie est invariante sous des transformations de jauge locales de SU(2), des difféomorphismes tridimensionnels de la variété sur laquelle les champs sont définis ainsi que sous des translations sous la coordonnée temps, générée par la contrainte hamiltonienne. La totalité du contenu dynamique de la relativité générale est capturé ces trois contraintes qui génèrent l’invariance de jauge  [190, 9].

Comme nous l’avons déjà dit, la contrainte  hamiltonienne Lorentzienne n’a pas une forme polynomiale simple, si nous utilisons la connexion réelle (2 ). Cela a été considéré un temps comme un obstacle à la définition, de la contrainte hamiltonienne et la version complexe de la connexion était alors principalement utilisée. Cependant, Thiemann a réussi récemment a construire une contrainte quantique hamiltonienne Lorentzienne [206 , 201 , 202 ] en dépit de son expression classique non polynomiale.  C’est pourquoi, la connexion réelle est maintenant largement utilisée. Ce choix a l’avantage d’éliminer le vieux problème de « conditions réelles », c’est-à-dire, le problème d’implémentation de conditions réelles non triviales dans la théorie quantique.

6.1 Algèbre des boucles 

Certaines entités classiques jouent un rôle très important dans la théorie quantique. Ce sont : La trace de l’holonomie de la connexion, qui est étiquetée par des boucles sur la variété à 3 dimensions, et des variables de boucles d’ordre plus élevé, obtenues en insérant le champ E (en n points distincts, ou ``poignées'') dans la trace de l’holonomie. Plus précisément, étant donné une boucle α en M et les points s1, s2,,sn   α nous définissons :

et en général

  est le propagateur parallèle de Aα  le long de α , défini par

(Voir [77 ] pour plus de détails.) Ce sont les observables de boucle, introduites dans les théories de Yang Mills  dans [95, 96], et dans la gravitation dans [183 , 184 ].

Les observables de boucle définissent des coordonnées de l’espace des phases et suivent une algèbre fermée  de Poisson, appelée algèbre de boucle. Cette algèbre possède une propriété géométrique remarquable Par exemple, le crochet de Poisson entre   et  n’est pas nul, seulement si β(s)  repose sur α,  si c’est le cas, le résultat est proportionnel à l’holonomie des boucles de Wilson obtenues en joignant  α et β à leur intersection (en reroutant les 4 brins à l’intersection). Plus précisément

Ici

est une distribution de vecteur supportée par α  et α  β   est la boucle obtenue en partant de l’intersection entre α et β , et suivant d’abord α  et ensuite β.β-1  est β avec l’orientation inverse.

Un paramètre  (non invariant de jauge par SU(2) ) qui joue un rôle important dans certains aspects de la théorie, en particulier dans la régularisation de certains opérateurs , est obtenu en intégrant le champ E sur une surface S bidimensionnelle

où  f est une fonction sur la surface  S, valorisée dans l’algèbre de Lie de  SU(2). Au lieu des observables de boucles complètes  (5,6 ,7 ), on peut aussi prendre les  holonomies et E[S,f] comme variables élémentaires [15 , 17 ]; ceci étant plus naturel, par exemple, dans l’approche algébrique C* [12 ].

 

6.2 Gravitation quantique à boucles 

La cinématique d’une théorie quantique est définie par une algèbre d’opérateurs « élémentaires » (tels que x et iħd/dx, ou des opérateurs de création et d’annihilation) sur un espace de Hilbert . L’interprétation physique de la théorie est fondée sur la connexion entre ces opérateurs et des variables classiques, et sur l’interprétation que  est l’espace des états quantiques.

La dynamique est régie par un hamiltonien, ou, comme en relativité générale, par un ensemble de contraintes quantiques, construites en termes d’opérateurs élémentaires. Pour s’assurer que les équations quantiques d’Heisenberg, ont la limite classique correcte, l’algèbre des opérateurs élémentaires doit être isomorphe à l’algèbre de Poisson des observables élémentaires. Ceci induit la règle de quantification heuristique : «promouvoir les crochets de Poisson en commutateurs ».

Autrement dit, définissons la théorie quantique, comme une représentation linéaire de l’algèbre de Poisson, formée sur les  observables élémentaires. Pour ces raisons, illustrées au chapitre 5, nous choisissons l’algèbre de boucles définie au chapitre 6.1 pour la quantification de  l’algèbre des observables élémentaires. Alors, la cinématique de la théorie quantique est définie par une représentation unitaire de l’algèbre de boucles.  

Ici, nous construisons, une telle représentation en suivant un cheminement simple.

Nous pouvons commencer « à la Schrödinger' » en exprimant les états quantiques au moyen de l’amplitude de la connexion, c’est-à-dire au moyen de fonctionnelles Ψ(A)  de la connexion (infiniment dérivable). Ces fonctionnelles forment un espace linéaire, que nous pouvons promouvoir en espace de Hilbert en définissant un produit scalaire. Pour définir un produit scalaire, nous choisissons un ensemble particulier d’états, que nous appelons «  états cylindriques » et commençons par définir le produit scalaire entre eux.

Prenons un graphe Γ, disons avec n liens, dénotés γ1...γn, appartenant à la variété  M. Pour des raisons techniques imposons que les liens soient analytiques. Soit Ui(A) = Uγi, i = 1,...,n   l’opérateur de transport  parallèle de la connexion A le long de γi . Ui(A)  est un élément de SU(2).  Prenons une fonction f(g1...gn sur [SU(2)]n.  Le graphe Γ et la fonction  f déterminent une fonctionnelle de la connexion comme suit:

               (12)

(Ces états sont appelés états cylindriques, car ils furent introduits en [14 , 15 , 16 ] en tant que fonctions cylindriques pour la définition d’une mesure cylindrique). Remarquons que nous pouvons toujours “agrandir le graphe “au sens que si Γ  est un sous graphe de Γ ', nous pouvons toujours écrire

en choisissant simplement f ' indépendant des Ui' s des liens qui sont dans Γ ' mais pas dans Γ.  Alors, étant donné deux fonctions cylindriques quelconques, nous pouvons toujours les voir comme ayant le même graphe (formé de l’union des deux). Compte tenu de cette remarque, nous définissons le produit scalaire entre deux fonctions cylindriques quelconque [137, 14 , 15 , 16 ] par

 

où  dg est la mesure de Haar sur SU(2). Ce produit scalaire s’étend par linéarité à une combinaison finie de fonctions cylindriques. Il n’est pas difficile de montrer que  (14 ) définit également un produit scalaire sur l’espace de ces combinaisons linéaires. En complétant l’espace de ces combinaisons linéaires dans la norme de Hilbert, nous obtenons un espace d’Hilbert . Ceci est l’espace des états quantiques (non contraints) de la gravitation à boucles.    transporte une représentation unitaire naturelle du groupe de difféomorphisme et du groupe des transformations locales de SU(2), obtenu en transformant l’argument des fonctionnelles. Une propriété importante du produit scalaire (14 ) est qu’il est invariant sous ces deux types de transformations.

 est non séparable. À première vue, ceci semble un sérieux obstacle à une interprétation physique. Mais nous verrons plus loin, qu’après avoir factorisé et évacué l’invariance par difféomorphisme, nous pouvons obtenir un espace de Hilbert séparable (voir chapitre 6.8). Également, la théorie spectrale standard s’applique sur  , et en utilisant les réseaux de spin, il apparaît (comme discuté plus loin) qu’on peut exprimer  comme une somme directe sur des sous espaces de dimensions finies qui ont la structure d’espaces de Hilbert de systèmes de spins : ceci rend les calculs pratiques tout à fait gérable. Finalement, nous utiliserons une notation de Dirac et écrirons :

de la même manière qu’on peut écrire  en mécanique quantique usuelle. Dans ce cas, cependant, nous devons nous rappeler que  n’est pas un état normalisable.

 

6.3 États des boucles et états des réseaux de spin. 

Un sous espace  de   est formé par les états invariants par une transformation de jauge de SU(2). Définissons maintenant une base orthonormée dans . Cette base représente un outil très important pour utiliser la théorie. Il fut introduit dans [187 ] et développé dans [31, 32]; Il est appelé base de réseau de spin.

D’abord, étant donné une boucle α dans M, il y a un état normalisé   dans , qui est obtenu en prenant Γ = α   et f(g)=-Tr(g). Soit 

Introduisons la notation de Dirac pour les états abstraits, et dénotons cet état |α >. Ces états sont appelés états de boucles. En utilisant la notation de Dirac, nous pouvons écrire :

Il est facile de montrer que les états de boucles sont normalisables .Les produits d’états de boucles le sont également. Comme c’est l’usage, dénotons  également une multi-boucles, c’est à dire un ensemble de boucles qui peuvent se chevaucher {α1, …, αn} , et nous appelons

un état de multi-boucles. Les états de (multi-boucles) représentaient l’outil principal pour la gravitation quantique à boucles avant la découverte de la base de réseaux de spins.  Des combinaisons linéaires d’états de multi-boucles (sur-) balaient   , et donc un état générique  est complètement caractérisé par ses projections sur les états de multi-boucles, soit:

L’ancienne représentation représentait les états quantiques de cette manière c’est-à-dire par au moyen des fonctionnelles  sur un espace des boucles défini dans (19 ). L’équation (19 ) peut être écrite explicitement sous forme d’une intégrale de transformée, comme nous le verrons au chapitre 6.7.

Ensuite, considérons un graphe Γ (nous appellerons arête la ligne joignant deux nœuds du graphe). Un``coloriage '' de Γ est défini comme suit.

1.      Associons une représentation irréductible de SU(2) à chaque arête de Γ. De façon équivalente, nous pouvons associer à chaque arête γi un nombre demi entier si, le spin de l’irréductible, ou de façon équivalente, un nombre entier pi, la « couleur » pi = 2si

2.      Associons un tenseur invariant v, dans la classe des tenseurs produit tensoriel des représentations s1,...,sn, à chaque nœud de Γ dans lequel des arêtes de spins s1,...,sn  se croisent. Un tenseur invariant est un objet à n indices, dans les représentations s1,...,sn qui se transforme de façon covariante. Si n =3, il n’y a qu’un tenseur invariant (à un facteur multiplicatif près) donné par le coefficient de Clebsh-Gordon. Un tenseur invariant est aussi appelé un tenseur inter-jumelant. Tous les tenseurs invariants sont donnés par la théorie standard de Clebsch-Gordon. Plus précisément, pour s1,...,sn , fixés, les tenseurs invariants forment espace linéaire de dimension finie. Prenons une base vj  est cet espace, et associons un des éléments de cette base au nœud. Remarquons que des tenseurs invariants n’existent que si le produit tensoriel des représentations   s1,...,sn contient la représentation triviale. Ceci impose une condition sur le coloriage des arêtes. Pour n =3, ceci est donné par la célèbre condition de Clebsh-Gordan: Chaque couleur n’est pas plus grande que la somme des deux autres, et la somme de 3 couleurs est paire.

Indiquons un graphe colorié par   , ou simplement,  , et appelons-le « réseau de spin ». (C’est Penrose qui le premier a eu l’intuition que ces mathématiques étaient pertinentes pour décrire les propriétés quantiques de la géométrie, et qui donna la première version de la théorie des réseaux de spins. [152, 153].)

Etant donné un réseau de spin S, nous pouvons construire un état  comme suit. Nous évaluons le propagateur de la connexion le long de chaque arête du graphe, dans la représentation associée à ce brin, et à chaque nœud, nous contractons les matrices de la représentation avec le tenseur invariant. Nous obtenons un état  , que nous écrivons aussi

On peut alors démontrer ce qui suit.

·         Les états du réseau de spin sont normalisables. Le facteur de normalisation est calculé en [77 ].

·         Ils sont invariants de jauge de SU(2).

·         Chaque état du réseau de spin peut être décomposé en une combinaison linéaire finie de produit d’états de boucles.

·         Les états normalisés du réseau de spin forment une base orthonormée pour les états invariants de jauge de SU(2) dans  (en choisissant la base des tenseurs invariants convenablement).

·         Le produit scalaire entre deux états de réseaux de spin peut être facilement calculé graphiquement et algébriquement. Voir [77 ] pour les détails.

Les états de réseau de spin offrent une base tout à fait valide pour la théorie quantique.

Les états de réseau de spin définis ci-dessus sont invariants de jauge de SU(2). Il existe aussi une extension de la base de réseau de spin à un espace de Hilbert complet (voir par exemple [17 , 51 ], et les références qui y sont contenues).

 

6.4 Relations entre les états des réseaux de spin et les états des boucles et représentation sous forme de diagramme des états.

Une représentation par diagramme des états dans  est très utile pour les calculs concrets. D’abord associons à un état de boucle  un diagramme dans M, constitué de la boucle  , elle-même. Ensuite, remarquons que nous pouvons multiplier deux états de boucle, et obtenir un état normalisable. Nous représentons le produit de n états de boucle, par le diagramme formé par l’ensemble des n boucles correspondantes (qui peuvent éventuellement se recouvrir), nous dénotons cet ensemble «  multi-boucles »). Alors, les combinaisons linéaires des diagrammes de multi-boucles représentent des états dans. Représenter les états comme des combinaisons linéaires de diagrammes de multi-boucles rend les calculs faciles dans.

Maintenant, l’état du réseau de spin défini par le graphe sans nœud α, de couleur 1, est clairement, par définition, l’état de boucle, et nous le représentons par le diagramme α. L’état de réseau de spin   déterminé par le graphe sans nœud α de couleur n peut être obtenu comme suit. Traçons n lignes parallèles le long de la boucle α; Coupons toutes les lignes en un point arbitraire de α, et considérons les n! diagrammes obtenus en joignant les brins, par permutation. La combinaison linéaire de ces n! diagrammes, assigné de signes alternés (en fonction de la parité de la permutation) est précisément l’état. . La raison de ce résultat clé, peut être trouvée dans le fait qu’une représentation irréductible de SU(2) peut être obtenue par le produit tensoriel  totalement symétrique de la représentation fondamentale avec elle-même. Pour les détails, voir [77 ].

Ensuite, considérons un graphe Γ  avec des nœuds. Traçons ni lignes parallèles le long de chaque arête γi. Joignons deux par deux les extrémités de ces lignes à chaque nœud, de façon arbitraire, de telle sorte que chaque ligne est reliée avec une ligne d’une arête différente, voir figure 1. De cette manière nous obtenons un diagramme multi-boucles. Maintenant symétrisons les ni lignes parallèles le long de chaque brin, pour obtenir une combinaison linéaire des diagrammes représentant un état dans. On peut montrer que cet état est un état de réseau de spin, où ni est la couleur des arêtes, et où la couleur des nœuds est déterminée par la jonction appairée des brins choisis [77 ]. Soulignons de nouveau, que c’est simplement la représentation de la théorie dans SU(2) qui est derrière ce résultat.

Plus en détail, si le nœud est trivalent (a trois arêtes adjacentes) nous ne pouvons appairer les brins que si le nombre total de brins est pair, et si le nombre de brins de chaque arête, est plus petit ou égal à la somme du nombre des deux autres. On reconnaît immédiatement la condition de Clebsch-Gordan. Si ces conditions sont satisfaites, il n’y a qu’une manière de joindre les brins. Cela correspond au fait qu’il n’y a qu’un tenseur invariant, produit de trois irréductibles  de SU(2). Les nœuds de valence plus élevée peuvent être décomposés en nœuds « trivalents » virtuels, joints par des arêtes virtuelles. Les tenseurs invariants indépendants et orthogonaux, sont obtenus en faisant varier les couleurs, parmi celles qui sont autorisées, de ces arêtes virtuelles, (compatibles avec les conditions de Clebsch-Gordan aux nœuds virtuels).

Différentes décompositions, du nœud,  donnent différentes bases. Donc le coloriage total (nœud et arêtes) d’un réseau de spin peut être représenté au moyen d’un coloriage des arêtes réelles et virtuelles. Voir,  Figure 1.


Figure 1 : Construction de «nœuds virtuels» et «d’arêtes virtuelles» sur un nœud de valence n.

Vice versa, les états de multi-boucles peuvent être décomposés en états de réseaux de spin, en symétrisant simplement le long des noeuds (réels et virtuels). Ceci peut être fait de façon particulièrement simple sous forme de diagramme, comme illustré par les formules graphiques dans [187, 77 ]. Ce sont des formules standards. En fait il est bien connu que l’algèbre tensorielle des représentations irréductibles de SU(2) admet une notation complètement graphique. Cette notation graphique a été largement utilisée par exemple dans la physique nucléaire et atomique. On peut trouver cela, en détail dans des livres comme [214, 52, 66]. L’application du calcul “par diagrammes” en gravitation quantique est décrite en détail dans [77 ], que je recommande à toute personne qui doit entreprendre des calculs concrets en gravitation quantique à boucles.

Il est intéressant de remarquer que la gravitation quantique à boucles fut d’abord construite dans une notation purement « par diagrammes » dans [184 ]. La nature graphique de ce calcul, en a étonné plus d’un et la théorie fut accusée d’être vague et bizarre. Ce n’est qu’après que les chercheurs remarquèrent que cette notation basée sur les diagrammes, était en fait le calcul « par diagrammes » (dans SU(2)) bien connu des atomistes et physiciens nucléaires.

6.5 La représentation

Définissons maintenant les opérateurs quantiques, correspondant aux -variables comme opérateurs linéaires sur  . Ils forment une représentation de l’algèbre de Poisson des variables de boucles. L’opérateur  agit diagonalement

(rappelons que le produit d’états de boucles et d’états de réseaux de spin sont des états normalisables). En notation «  diagramme », l’opérateur ajoute simplement une boucle à une combinaison linéaire de multi-boucles.

Les opérateurs de boucles d’ordre plus élevé, sont exprimés en termes d’opération « de saisie” élémentaire.  Considérons d’abord l’opérateur, avec une prise au point α(s). L’opérateur annihile tous les états de boucles qui ne passent pas par le point α(s). Appliqué sur un état de boucle   , il donne

où nous avons introduit la longueur élémentaire l0  par

et Δa   et  sont définis au chapitre 6.1. Cette action, s’étend par linéarité, par continuité, et par la règle de Leibniz aux produits et combinaisons linéaires d’état de boucles, et pour  complet. En particulier, il n’est pas difficile de calculer son action sur  un état de réseau de spin [77 ].

Les opérateurs d’ordre plus élevés agissent similairement.

C’est un jeu d’enfant de vérifier que ces opérateurs définissent une représentation de l’algèbre de Poisson classique. Tous les opérateurs dans la théorie, sont construits à partir de ces opérateurs de boucles fondamentaux, de la même manière que la  QFT classique construit ses opérateurs, incluant le hamiltonien, en termes d’opérateurs de création/ annihilation.

La construction d’opérateurs composites demande le développement de techniques de régularisation pour pouvoir être utilisés en l’absence d’une métrique de fond. Ils ont été introduits dans [196] et développés dans [186 , 77 , 18 , 23 , 138, 17 ].

 

6.6 Version Algébrique (`représentation “boucle”') et version différentielle (« représentation “connexion” ») du formalisme, et leur équivalence

Imaginons que nous voulions quantifier l’oscillateur harmonique à une dimension. Nous pouvons considérer l’espace de Hilbert des fonctions de carré intégrable , sur la ligne réelle et exprimer l’impulsion et le hamiltonien comme des opérateurs différentiels. Dénotons les valeurs propres du hamiltonien par .Il est bien connu que la théorie peut s’exprimer entièrement sous forme algébrique en termes d’états. Ce faisant, tous les opérateurs élémentaires sont algébriques : .

.

De même, en gravitation quantique nous pouvons directement construire la théorie dans la base de réseaux de spins (ou de boucles), sans même faire intervenir les fonctionnelles sur les connexions. Cette représentation de la théorie est dénotée ‘ représentation par boucles ». Un chapitre du premier article sur la gravitation quantique par Rovelli et Smolin [184 ] était consacré à une étude détaillée de la “ théorie de transformation” (au sens de Dirac) sur l’espace des états de la gravitation quantique, et en particulier aux relations entre les états de boucles.

et les états    donnant l’amplitude pour une configuration A du champ de connexion, et défini par:

Ici  sont les valeurs propres de “l’opérateur de connexion” ou plus précisément, (comme l’opérateur correspondant à la connexion est définie de façon bancale dans la théorie) les états généralisés qui satisfont :

:

Cependant à l’époque de [184 ] l’absence d’un produit scalaire rendait la transformation douteuse. D’autre part, l’introduction du produit scalaire (14 ) donne un sens rigoureux à la transformée de boucle. En fait, nous pouvons écrire pour chaque réseau de spin S, et pour chaque état  

Cette équation définit une relation unitaire entre deux présentations de : La “ représentation par boucle”, dans laquelle on travaille sur la base ; et la « représentation par connexion » dans laquelle on utilise des fonctionnelles d’onde  .

Le développement de la représentation par connexion a suivi un chemin tortueux à travers l’algèbre [12 ] et les méthodes de mesure théoriques [14 , 16 , 15 ]. Les travaux de Ashtekar, Isham, Lewandowski, Marolf, Mouraoet Thiemann ont finalement établi la représentation par connexion sur une base solide, et ont indirectement bien clarifié les mathématiques sous-jacentes à l’approche par boucle. Au cours de ce développement, des doutes sont apparus au sujet des relations précises entre les formalismes de connexion et de boucles. Aujourd’hui l’équivalence de ces deux approches (suspectée depuis toujours) a été fermement établie. En particulier les travaux de Roberto DePietri [76] ont prouvé l’équivalence unitaire des deux formalismes. Pour une discussion récente voir aussi [139 ].

6.7 Autres structures dans    

Les développements récents élucidant le fondement mathématique de la représentation par connexion ont conféré à cette théorie une rigueur toute mathématique. Le prix à payer, a été l’introduction d’outils mathématiques lourds, peu familiers au physicien de base, ceci ne pouvant que contribuer à creuser le fossé, entre les théoriciens de la gravitation quantique et ceux des cordes.

Cette recherche de la rigueur est motivée par le fait que la gravitation quantique à boucles se situe sur le terrain peu familier des théories quantiques des champs sur une variété, où l’expérience acquise dans les théories quantiques des champs conventionnelles, est de peu de secours et quelque fois trompeuse.  Compte tenu du peu de chance de trouver des confirmations expérimentales directes, l’objectif recherché, au moins pour le moment, est la cohérence sans failles de la théorie, et sa convergence «  macroscopique » avec les limites classiques.

Dans ces conditions, la rigueur mathématique, est la seule garantie de la cohérence de la théorie. Dans le développement de la théorie quantique des champs conventionnelle, la rigueur mathématique n’est pas aussi vitale, car nous pouvons procéder à des vérifications expérimentales très précises, assurant aux physiciens que la théorie  peut être mathématiquement vide de sens, mais qu’elle est néanmoins physiquement correcte, et donc que la théorie doit avoir un sens , même si nous ne savons pas lequel. Ici comme il ne faut pas compter sur de telles confirmations expérimentales, le seul critère qu’il nous faut soigner, pour revendiquer un fondement à cette théorie,  c’est sa rigueur mathématique.

On peut objecter qu’une définition rigoureuse de la gravitation quantique est sans espoir, du fait que nous n’avons même  pas de définition rigoureuse de l’électrodynamique quantique (QED), théorie pourtant réputée plus simple. L’objection est sérieuse si on se place du point de vue du physicien qui voit la gravitation comme un « champ comme les autres, que nous comprenons déjà ». Mais la QED et les autres théories sont quand même mises à mal par le problème de l’ultraviolet. L’espoir physique, qui stimule la recherche en gravitation quantique est que la structure ultraviolette d’une théorie quantique de la gravitation invariante par difféomorphisme est profondément différente de celle des théories conventionnelles.

En fait, rappelons, que très profondément, il n’y a pas de limite inférieure de distance, dans la théorie, mais que la théorie génère naturellement sa coupure à l’échelle de Planck, ceci dû au caractère discontinu et quantifiable de l’espace-temps. Donc l’espoir que la gravitation quantique puisse être rigoureusement fondée est peut être optimiste mais pas débile.

Après ces commentaires, je vais citer quelques-unes des  structures qui ont été explorées dans . D’abord les états de réseaux de spin satisfont aux axiomes de Kauffman de la version théorique des entrelacs de la théorie de re-couplage. [130 ] (dans le cas « classique » A=-1) en tous les points (en espace 3D ) où ils se rencontrent. (Ce fait est souvent mal compris: la théorie de recouplage se situe en 2d et est associé par Kauffman à la théorie des nœuds au moyen habituel de projection des nœuds de 3d vers 2d. Ici, les axiomes de Kauffman ne sont pas satisfaits aux intersections crées par la projection 2d du réseau de spin, mais seulement aux nœuds en 3d. Voir  [77 ] pour une discussion détaillée.) Par exemple considérons un noeud de valence 4 de quatre arêtes coloriés a, b, c, d. La couleur du nœud est déterminée en développant le noeud de valence quatre en un arbre trivalent ; Dans ce cas nous avons une arête interne unique. Le développement peut être faite de différentes manières (en appairant les arêtes différemment). Ils sont en relation les uns avec les autres par le théorème de recouplage p.60 dans la référence [130 ]

           (29)

où les valeurs    sont des symboles six-j de SU(2)  (normalisés comme dans [130 ]). L’équation (29 ) s’ensuit des définitions données ci-dessus. La théorie de re-couplage se révèle être un outil de calcul puissant dans ce contexte.

Comme les états de réseaux de spin satisfont la théorie de re-couplage, elle forme une algèbre de Temperley-Lieb  [130]. Le produit scalaire (14 ) dans  est donné aussi par la trace de Temperley-Lieb des réseaux de spin, ou de façon équivalente par les crochets de Kauffman, ou de façon équivalente, par l’évaluation chromatique du réseau de spin. Voir référence [77 ] pour une présentation détaillée de ces relations.

Ensuite,  admet une représentation rigoureuse en tant qu’espace    , c’est-à-dire un espace des fonctions de carré intégrables. Cependant pour obtenir cette représentation, nous devons étendre la notion de connexion à celle de connexion « distributionnelle ». L’espace des connexions « distributionnelles » est la fermeture de l’espace de connexions régulières (infiniment dérivables) dans une certaine topologie. Donc, les connexions “distributionnelles” peuvent être vues comme la limite de séquences de connexions, de la même manière que les distributions peuvent être vues comme la limite d’une séquence de fonctions. Les distributions habituelles sont définies comme les éléments du dual topologique de certains espaces de fonctions. Ici, il n’y a pas de structure linéaire dans l’espace des connexions, mais il y une dualité naturelle entre les connexions et les courbes dans M: Une connexion “ régulière” A associe un élément d’un groupe Uγ(A)  à chaque segment  γ. Les éléments du groupe satisfont certaines propriétés. Par exemple, si  est la composition de deux segments γ1  et , alors .

Une connexion généralisée A, est définie comme une relation qui associe un élément de SU(2), que nous dénotons   ou , à chaque courbe (orientée)   dans  M, satisfaisant les conditions suivantes:

 i)    et

 ii) , où  est obtenu à partir de   en renversant son orientation,  dénote la composition de deux courbes ( obtenues en reliant la fin de  au début de  ) et   est la composition dans SU(2).

 L’espace de connexions ainsi généralisées est dénoté   . Les fonctions cylindriques   , définies au chapitre 6.3 comme fonctions sur l’espace des connexions régulières, s’étend immédiatement aux connexions généralisées.

    (30)

Nous pouvons définir une mesure   sur l’espace des connexions généralisées  par

(31)

En fait, on peut montrer que (31 ) définit (par linéarité et continuité) une mesure absolument continue, bien définie sur . C’est la mesure de Ashtekar-Lewandowski (ou Ashtekar-Lewandowski-Baez) [14 , 15 , 16 , 26 ]. Alors, on peut prouver que  sous l’isomorphisme naturel donné en identifiant les fonctions cylindriques. Il s’ensuit immédiatement que la transformation (19 ) entre la représentation de la connexion et l’ancienne” représentation par boucle est donnée par

(32)

C’est la transformée de boucle que nous avions établie heuristiquement dans [184 ]; ici nous l’avons définie rigoureusement.

De plus,  peut être vu comme la limite projective de la famille projective des espaces de Hilbert , associé à chaque graphe  appartenant à M.  est défini comme l’espace , où n est le nombre d’arêtes de . La fonction cylindrique  est naturellement associée à la fonction f dans , et la structure projective est donnée par la carte ( des relations) naturelle. (13 ) [18 , 149].

Finalement, Ashtekar et Isham [12] ont retrouvé la représentation de l’algèbre de boucle en utilisant la théorie en représentation d’algèbre C*: L’espace , où   est le groupe des transformations locales de SU(2)  (qui agit de manière évidente, sur les connexions généralisées), est précisément le spectre de Gelfand de la partie abélienne de l’algèbre de boucles. On peut montrer que c’est une fermeture de norme convenable de l’espace des connexions régulières de SU(2) sur l’espace physique, modulo les transformations de jauge.

Donc, nous avons sous la main, un nombre d’outils mathématiques puissants, pour traiter de la gravitation quantique non perturbative. Ceci inclut: La théorie des réseaux de spin de Penrose, La théorie de représentation SU(2), La théorie de re-couplage des entrelacs » théoriques de  Kauffman, les algèbres de Temperley-Lieb, la théorie de représentation spectrale de l’algèbre  de Gelfand, la théorie de la mesure sur des dimensions infinies et la géométrie différentielle sur des espaces à une infinité de dimensions.

 

6.8 Invariance par difféomorphisme 

La prochaine étape, dans la construction de la théorie est de factoriser et d’éliminer l’invariance par difféomorphisme. Ceci est une étape clé pour deux raisons. D’abord,   est un espace « énorme » non séparable. Il est bien « trop grand » pour une théorie de champ quantique.  Mais, la plupart de cette redondance est de jauge et  va être éliminée quand on aura résolu la contrainte de difféomorphisme, définissant l’espace de Hilbert invariant par difféomorphisme . C’est en cela que la représentation par boucles, comme définie ici, est d’une grande utilité dans les théories invariantes seulement par difféomorphisme.

La seconde raison est que   se retrouve avoir une base naturelle étiquetée par des noeuds. Plus précisément par des “s-noeuds”. Un s-noeud s est une classe d’équivalence de réseaux de spins S sous des difféomorphismes. Un s-noeud est caractérisé par son ``graphe abstrait” (défini seulement par les relations d’adjacence entre les arêtes et les nœuds), par le coloriage, et son «  nouage » et propriétés de liaisons, comme en théorie de nœuds. Alors les états quantiques physiques du champ gravitationnel se retrouvent essentiellement classifiés par la théorie des nœuds. Il a des manières variées différentes d’obtenir  à partir de   . On peut utiliser des techniques de régularisation pour définir un opérateur quantique correspondant à la contrainte classique de difféomorphisme en termes d’opérateurs de boucles élémentaires, et ensuite trouver le noyau de tels opérateurs. De façon équivalente on peut diviser   par l’action naturelle du groupe de difféomorphisme qu’il transporte.

Soit :

(33)

Il y a plusieurs façons rigoureuses pour définir le quotient d’un espace de Hilbert par l’action unitaire d’un groupe. Voir en particulier la méthode dans [18], qui suit les idées de Marolf et Higuchi [145, 147, 148, 108].

Dans la littérature sur la gravitation quantique, on a critiqué le fait que le produit scalaire n’est pas défini dans l’espace des solutions d’une contrainte , défini sur un espace de Hilbert . Ceci, en fait, est un faux problème. Il est vrai que si zéro est dans le spectre continu de , alors les valeurs propres correspondantes sont les états généralisés et que le produit scalaire dans  n’est pas défini entre elles. Mais les espaces propres de , incluant le noyau, héritent néanmoins d’un produit scalaire de .  Ceci peut être vu de multiples manières. Par exemple, on peut le voir comme résultant du théorème suivant. Si  est auto adjoint, alors il existe une mesure  sur son spectre et une famille d’espaces de Hilbert   tels que

(34)

où l’intégrale est la somme continue des espaces de Hilbert décrits, par exemple dans [101]. Clairement  est le noyau de    muni d’un produit scalaire. Ceci est explicité par exemple dans [162].

Il y a deux possibilités distinctes pour factoriser et évacuer la redondance par difféomorphisme, dans la théorie quantique, produisant deux versions distinctes de la théorie. La première possibilité est de factoriser et évacuer les transformations régulières de la variété. En faisant cela, des espaces modulaires de dimensions finies associés à des nœuds de valence élevée apparaissent [98], de sorte que l’espace de Hilbert résultant est toujours non séparable. La pertinence physique de ces paramètres modulaires n’est pas claire, à ce stade, du fait qu’ils ne semblent jouer aucun rôle dans la théorie quantique. Autrement, on peut factoriser et évacuer, de façon cohérente, les transformations continues de la variété. Cette possibilité a été explorée par Zapata dans [215, 216], et semble conduire à une théorie cohérente libre de toute non séparabilité résiduelle.

6.9 Dynamique

Finalement, la définition de la théorie est achevée en donnant la contrainte hamiltonienne. Un certain nombre d’approches d’une  définition de contrainte hamiltonienneont été tentées dans le passé, avec plus ou moins de réussite. Récemment, cependant, Thiemann a réussi à  régulariser la contrainte hamiltonienne, ce qui produit un opérateur fini, bien défini. La méthode de Thiemann's [206 , 201 , 202 ] est fondée sur plusieurs  brillantes idées. Je ne vais pas la décrire ici. Mais je vais brosser  ci-dessous la forme finale (pour le cas «  Lapse » =1), selon [175 ].

Je commence par la contrainte du Hamiltonien Euclidien. Nous avons :

Ici  i étiquette les noeuds des s-noeuds s; (IJ) étiquette les couples d’arêtes distincts issus des i.  sont les couleurs des arêtes issues de i.   est l’opérateur qui s’applique sur un -noeud par: (i) créant deux noeuds additionnels, un par arête I et J; (ii) créant une nouvelle arête, de couleur 1, joignant ces deux nœuds, , (iii) attribuant la couleur   et respectivement,  aux arêtes qui relient  les nœuds nouvellement formés avec le nœud i. Ceci est illustré en Figure 2.

Les coefficients , qui sont finis, peuvent être exprimés explicitement (mais de façon assez laborieuse) en terme de produits de combinaisons linéaires de symboles 6-j de SU(2), selon les techniques développées en détail dans [77 ]. Certains de ces coefficients ont été explicitement calculés [51 ]. La contrainte hamiltonienne Lorentzienne est donnée par une expression semblable, mais quadratique en opérateurs .

L’opérateur défini ci-dessus est obtenu en introduisant une expression régularisée pour la contrainte hamiltonienne classique, écrite en termes d’observables de boucles élémentaires, transformant ces observables en opérateurs correspondants et en en prenant la limite. La méthode marche de façon magique, ceci s’appuyant sur le fait, déjà remarqué en [188 ], certaines limites d’opérateurs   se révèlent finies sur des états invariant par difféomorphisme, du fait que pour  et , suffisamment petits,    et   sont difféomorphiquement équivalents. Donc, ici, l’invariance par difféomorphisme joue un rôle crucial dans la théorie.

Pour une étude des problèmes posés par l’opérateur de Thiemann et de la variante proposée, voir chapitre 8.

6.10 Dégelons le formalisme temporel figé : La forme covariante de la gravitation quantique à boucles. 

Un développement récent du formalisme est la traduction de la  gravitation quantique à boucles en une forme covariante dans l’espace-temps. Ceci fut introduit dans [181 , 160 ] en suivant la même méthode que Feynman dans la définition de l’intégrale des chemins en mécanique quantique partant de la théorie canonique de Schrödinger. Plus précisément, il fut prouvé dans [160 ] que les éléments de la matrice de l’opérateur U(T)

obtenu en prenant l’exponentielle de la contrainte dans la jauge de temps propre (l’opérateur qui génère l’évolution en temps propre) du hamiltonien (Euclidien) peut être développé en une somme de Feynman sur les chemins. En QFT conventionnelle chaque terme d’une somme de Feynman correspond naturellement à un diagramme de Feynman, c’est-à-dire un ensemble de lignes reliées à des sommets (vertices : points de branchement). Une structure naturelle similaire associée aux termes apparaît en gravitation quantique, mais curieusement les diagrammes se composent de surfaces dans l’espace-temps qui se branchent aux sommets. Donc, la formulation de la gravitation quantique s’exprime par une somme sur des surfaces de l’espace-temps. Reisenberger [158] et Baez [30] avaient soutenu dans le passé qu’une telle formulation devait exister, et Iwasaki a développé une construction semblable en (2+1) dimensions.

 Intuitivement l’évolution temporelle d’un réseau de spin dans l’espace est donnée par une surface colorée. La surface détient les degrés de liberté gravitationnels. La formulation est “topologique”, en ce sens, qu’on  doit ne sommer que sur des surfaces topologiquement non équivalentes, et que la contribution de chaque surface ne dépend que de sa topologie. 

Cette contribution est donnée par le produit de sommets élémentaires, c’est-à-dire les points où les surfaces se branchent.

L’amplitude de transition entre les états    et  de deux s-noeuds dans un temps propre T est donné en sommant sur toutes les surfaces (branchées, colorées)     qui sont liées aux deux s-noeuds   et 

La pondération (poids)   de la surface   est donnée par un produit sur les n sommets v de :

La contribution  de chaque arête (vertex) est donnée par les éléments de la matrice de l’opérateur de la contrainte hamiltonienne entre les deux s-nœuds, obtenus en découpant  immédiatement au-dessus et immédiatement en dessous de l’arête. Ceci ne dépend que des couleurs des composants de  la surface immédiatement adjacente à l’arête v. On s’aperçoit que la somme est finie et explicitement calculable à chaque ordre. Comme d’habitude dans les diagrammes de Feynman les sommets décrivent les interactions élémentaires de la théorie. En particulier ici on voit que la structure compliquée du hamiltonien de Thiemann, qui sépare un nœud en trois nœuds, correspond géométriquement à une arête très simple. La Figure 3 montre une arête élémentaire. Remarquons que cela ne représente que l’évolution spatio-temporelle de l’action élémentaire de la contrainte hamiltonienne, donnée en Figure 2.

Figure 3: L’arête élémentaire.

Un exemple d’une surface dans une somme est donné en Figure 4


Figure 4 : Un terme du second ordre

La version somme sur les surfaces de la gravitation quantique à boucles présente un lien avec certaines théories topologiques quantiques des champs, en particulier avec le modèle de Crane-Yetter  [71, 72, 73, 74, 75], qui admet une représentation très semblable. Pour une discussion sur les relations précises entre les théories topologiques quantiques des champs et les théories quantiques des champs invariantes par difféomorphisme, voir [160 ] et [171, 124, 83].

L’idée d’exprimer la théorie par une somme sur les surfaces a été développée par Baez [33 ],qui a étudié la forme générale d’une théorie quantique des champs généralement covariante, formulée de cette manière, et par Smolin et Markopoulou [144 ], qui ont étudié comment capturer directement la structure causale Lorentzienne de la relativité générale modifiant les sommets élémentaires. Ils ont aussi investigué les corrélations à longue portée, en situation de faible énergie dans la théorie, et leurs relations avec l’existence une transition de phase au niveau de la dynamique  microscopique, et trouvé d’étranges ressemblances avec la description théorique de la percolation.

7 - Résultats physiques 

Au chapitre  6, nous avons brossé le tableau de la structure de base de la gravitation quantique à boucles. Cette structure a été développée dans un certain nombre de directions et a été utilisée pour déduire certains résultats. Sans prétendre être exhaustif, je présente ci-dessous quelques-uns de ces développements.

 

7.1 Technique 

·         Solutions de la contrainte hamiltonienne.  Un des résultats les plus étonnants de la théorie est qu’il a été possible de trouver des solutions exactes de la contrainte hamiltonienne. Ceci est une conséquence, du résultat clé, que c’est seulement sur les nœuds des s-nœuds que les contraintes hamiltoniennes ne sont pas nulles. [183, 184]. Donc, des s-nœuds, sans nœuds sont des états physiques qui satisfont la dynamique quantique d’Einstein.

·          Il y a un nombre infini d’états indépendants de cette sorte, classé selon la théorie classique des nœuds. L’interprétation physique de ces solutions est toujours plutôt obscure. D’autres solutions ont été trouvées. Voir l’article récent [82] et ses références. Voir aussi [113, 131, 55, 56, 57, 58, 156, 94 , 129]. En particulier, Pullin a étudié en détail des solutions relatives au terme de Chern-Simon dans la représentation de la connexion et au polynôme de Jones dans la représentation par boucle. Selon un célèbre résultat de Witten [212], chacune des deux est la transformée de boucle de l’autre.

·         Évolution temporelle. Développement en perturbation champ fort. Règles de Feynman topologiques.  Si on essaie de décrire l’évolution temporelle du champ quantique gravitationnel en résolvant la contrainte hamiltonienne, on obtient le formalisme gelé en temps, conceptuellement bien défini [168], mais notoirement non transparent. Une alternative est d’étudier l’évolution des degrés de liberté gravitationnels par rapport à des variables de matière, couplées à la théorie, qui jouent le rôle d’une “horloge” phénoménologique. Cette approche a conduit à une tentative de définition d’un hamiltonien physique [188, 48], et à une investigation de la possibilité d’amplitudes de transition entre les états des s-noeuds, à tous les ordres dans un développement perturbatif (couplage fort) [175 ]. Dans ce contexte, l’invariance par difféomorphisme, combinée au résultat clé, que la contrainte hamiltonienne agit seulement sur les nœuds, implique que les règles de Feynman d’un tel développement sont purement topologiques et combinatoires.

·         Fermions. Les fermions ont été ajoutés à la théorie [150 , 151 , 35, 207 ]. Remarquablement, tous les résultats importants du cas de la pure  RG , sont préservés dans la théorie RG+ fermions. Il n’est pas surprenant que les fermions puissent être décrits comme les « extrémités » de réseaux de spins ouverts.

·         Maxwell et Yang-Mills. L’extension de la théorie aux champs de Maxwell ont été étudiés dans [132, 91]. L’extension à la théorie de Yang-Mills a été investiguée récemment dans [200 ]. In [200 ], Thiemann montre que le terme de Yang-Mills dans la contrainte du hamiltonien quantique peut être définie de manière rigoureuse, en développant les méthodes de [206 , 201 , 202 ]. Un résultat remarquable, dans ce contexte est que les divergences ultraviolettes ne semblent pas se produire,  ce qui  conforte la supposition que la coupure naturelle introduite par la gravitation quantique peut remédier les difficultés ultraviolettes des théories quantiques des champs classiques.

·         Application à d’autres théories. La représentation par boucle a été appliquée dans d’autres contextes variés, comme la gravitation 2+1 [13, 146, 20] (sur la gravitation quantique  2+1, dans la représentation par boucles et d’autres voir [62]) et aussi [21].

·         Treillis et modèles simpliciaux. Un nombre de versions intéressantes quantifiées de la théorie ont été étudié. Voir en particulier [141, 159, 94, 79].

 

7.2 Physique 

·         Quantification de l’espace à l’échelle de Planck.

Le résultat physique  le plus remarquable de la gravitation quantique à boucles est, selon moi, la preuve que l’espace à l’échelle de Planck n’a pas une structure continue, mais granulaire. Ceci se manifeste par le fait que certains opérateurs correspondant à la mesure de grandeurs géométriques, en particulier les surfaces et volumes, ont un spectre de valeurs discrètes.

Selon l’interprétation standard de la mécanique quantique (que nous adoptons), ceci prédit qu’une mesure physique d’une surface ou d’un volume va nécessairement donner des résultats quantifiés. Comme la plus petite valeur propre est à l’échelle de Planck, cela implique qu’en aucune manière nous ne pourrons observer des surfaces ou des volumes plus petits que l’échelle de Planck. L’espace est donc constitué de ``quanta'' comme l’énergie d’un oscillateur. Les spectres des surfaces et volumes ont été calculés en détail dans la gravitation quantique à boucles. Ces spectres ont une structure compliquée, et ils constituent des prédictions physiques quantitatives détaillées de la gravitation quantique à boucles de la physique à l’échelle de Planck. Si nous avions accès à la physique expérimentale à l’échelle de Planck, cela nous permettrait de tester empiriquement la théorie dans les détails.

Quelques commentaires, dans l’ordre.

o    La mise en évidence de al granularité l’aire et du volume est due à Rovelli et Smolin, est apparue la première fois dans la référence [186 ]  Plus tard, ce résultat a été retrouvé par d’autres méthodes «et développé par de nombreux auteurs. En particulier, Ashtekar et Lewandowski [17 ] ont retrouvé son établissement en utilisant la représentation de la connexion et ont terminé le calcul du spectre ( en ajoutant la partie qui n’avait pas été calculée en [186 ].) La composante de Ashtekar-Lewandowski du spectre a été alors retrouvée dans la représentation par boucle par Frittelli Lehner et Rovelli dans [84 ]. Loll a utilisé les techniques de treillis pour mettre lumière une erreur numérique dans [186 ] (corrigée dans l’erratum) dans les valeurs propres du volume. L’analyse des valeurs propres du volume a été faite dans [77 ], où les techniques générales pour réaliser ces calculs, sont décrites en détail. Le spectre du volume a été aussi analysé dans [203 ].  Il y a aussi quelques publications qui avaient anticipé le résultat principal présenté dans [186 ]. En particulier, Ashtekar Rovelli et Smolin avaient argumenté en faveur d’une granularité physique de l’espace comme conséquence de la représentation par boucle dans [23 ], où quelques-unes des valeurs propres de la surface , étaient déjà présentées, bien que sous forme implicite. La première revendication explicite que les valeurs propres peuvent en principe être observables ( en présence de matière) est de Rovelli dans [172 ].

o    Le lecteur peut s’étonner que les surfaces et les volumes semblent  jouer ici, un rôle plus important que celui que joue les longueurs, quand on utilise une géométrie classique, qui est habituellement décrite en termes de longueurs. La raison est que l’opérateur de longueur est difficile à définir, et plus difficile à interpréter physiquement. Pour des tentatives dans cette direction, voir [204]. Cela ne reflète-t-il qu’un aspect technique ou cela sous-tend-t-il une difficulté conceptuelle profonde ? Ce point ne m’apparaît pas clairement..

o    Les opérateurs de surface et de volume ne sont pas invariants de jauge. Donc nous ne pouvons pas les interpréter comme représentant des mesures physiques. Des mesures physiques réalistes de surface et de volume, se réfèrent toujours à des surfaces physiques et des régions d’espace déterminées par un objet physique. Par exemple je peux mesurer la surface d’une certaine table.  Dans une théorie dynamique, cela décrit aussi bien le champ gravitationnel que la table, la surface de la table est un paramètre A invariant par difféomorphisme, qui dépend autant des variables gravitationnelles que matérielles. Dans la théorie quantique, A va être représenté par un opérateur invariant de jauge. Maintenant, comme réalisé d’abord dans [172], il est plausible que l’opérateur A soit mathématiquement le même opérateur, qu’un pur opérateur de surface en gravitation. Cela, car nous pouvons fixer une jauge pour les variables de matière, et utiliser la position de la matière pour les coordonnées, ainsi des observables non invariantes par difféomorphisme dans une pure théorie de gravitation correspondent précisément à des observables invariantes par difféomorphisme dans une théorie matière + gravitation. Alors, il est probable que la discontinuité du spectre de l’opérateur de surface, implique la granularité des surfaces physiquement mesurables, mais il est important de souligner que cette implication est fondée sur des hypothèses supplémentaires sur la relation entre une pure théorie de gravitation et une théorie de gravitation + matière.

La granularité des surfaces et des volumes est établie comme suit. Considérons l’aire A d’une surface . L’aire physique A de  dépend de la métrique, c’est-à-dire du champ gravitationnel. Dans une théorie quantique de la gravitation, le champ gravitationnel est un opérateur de champ quantique, et nous devons donc décrire l’aire de  en termes d’observable quantique, décrit par un opérateur . Nous nous demandons, maintenant ce que cet opérateur quantique  peut bien être dans une théorie de gravitation quantique, non perturbative. On peut trouver facilement la solution en écrivant la formule standard pour l’aire d’une surface, et en remplaçant la métrique par une fonction appropriée de variables de boucles. Promouvons ces variables de boucles en opérateurs, nous obtenons l’opérateur d’aire .  La bonne construction de l’opérateur exige que nous régularisions l’expression classique et prenions la limite d’une séquence d’opérateurs, dans une topologie d’opérateur convenable. Pour les détails d’une telle construction voir  [186 , 77 , 84 , 51 ]. Une technique de régularisation alternative est  exposée dans [17 ]. L’opérateur d’aire résultant  agit comme suit sur un état de réseau de spins  (en supposant pour simplifier ici, que S est un réseau de spins sans nœuds sur ):

où  i étiquette les intersections entre le réseau de spin S et la surface  , et   est la couleur de l’arête de S croisant la i-ème intersection.

Ce résultat montre que les états du réseau de spin (avec un nombre fini de points d’intersection et pas de nœud sur la surface) sont des valeurs propres de l’opérateur des aires. Le spectre correspondant est étiqueté par des multiplets  de demi entiers positifs, avec n arbitraire, et donné par

Le passage de la notation en couleur à la notation en spin révèle l’origine SU(2) du spectre:

 

  sont des demi entiers. Pour le spectre complet, voir [17 ] (représentation par connexion) et [84] (représentation par boucles).

Un résultat semblable peut être obtenu pour le volume [186 , 142, 143, 77, 139 ]. Limitons-nous ici, pour simplifier, à des réseaux de spins S , sans noeuds tétravalents dégénérés, étiquetés par un index i. Soit   les couleurs des arêtes adjacentes au i-ème nœud et soit    l’étiquette de la base dans l’espace inter-jumelant. L’opérateur de volume agit comme suit:

 est un opérateur qui agit sur l’espace de dimension fini des inter-jumelants au i-ème nœud, et ses éléments de la matrice sont explicitement donnés ( dans une base convenable) par ( )

Voir [51 ]. Les valeurs propres du volume   sont obtenues en diagonalisant ces matrices. Par exemple, dans le cas simple a=b, c=d=1, nous avons

si d=a+b+c, nous avons

Pour plus de détails, et l’établissement complet de ces formules, voir: [51, 203]

·         Limite classique. États quantiques représentant un espace-temps plat. Tissages. Structure granulaire de l’espace à petite échelle.

Les états de s-noeuds ne représentent pas les excitations du champ gravitationnel quantique dans un espace plat, mais plutôt  dans “ pas d’espace” ou dans l’espace défini par   . On peut se demander alors, naturellement comment un espace plat ( ou tout autre géométrie continue et régulière) peut émerger d’une telle théorie. Remarquons que dans un contexte de Relativité Générale la solution de Minkowski, n’a pas toutes les propriétés de la théorie conventionnelle des champs du vide. (en physique gravitationnelle, il n’y a pas vraiment  d’équivalent à la théorie du vide conventionnelle, particulièrement dans le cas spatialement compact). On suppose alors que le cas de l’espace plat est représenté par un état hautement excité dans la théorie. Les états dans  qui décrivent un espace plat quand on l’évalue à basse énergie (grande distance) ont été étudiés dans [23 , 217, 49, 99 ]. Ils ont une structure discontinue à l’échelle de Planck. De plus, de petites excitations autour de tels états ont été considérés dans [125 ], où on montre que contient toute la physique des “gravitons libres”, à une approximation convenable..

·         L’effet  Bekenstein-Mukhanov.

Récemment,  Bekenstein et Mukhanov [46] ont suggéré que la nature thermique du rayonnement de  Hawking's [105 , 106 ] peut être affectée par les propriétés quantiques de la gravitation (pour une revue de suggestions antérieures dans cette direction, voir [193]). Bekenstein and Mukhanov observent que dans la plupart des approches de la gravitation quantique, la surface ne peut prendre que des valeurs quantifiées [97]. Comme la surface du trou noir est en relation avec sa masse, on peut escompter que la masse est quantifiée également. La masse d’un trou noir décroît quant le rayonnement est émis. Donc l’émission intervient quand le trou noir fait un saut quantique d’une valeur quantifiée de sa masse (énergie) à une valeur quantifiée inférieure, comme font les atomes. Une conséquence de ceci, est que le rayonnement est émis à des fréquences quantifiées, correspondant aux différences d’énergie des niveaux. Donc la gravitation quantique implique un spectre discret d’émission pour le rayonnement du trou noir.                         

Ce résultat n’est pas physiquement en contradiction avec la prédiction de Hawking d’un spectre thermique continu, car la densité du spectre est très élevée au niveau macroscopique. Mais,  Bekenstein et Mukhanov ont observé que si nous prenons la version la plus simple pour la quantification de l’aire, à savoir que l’aire est un multiple de l’aire élémentaire -, alors le spectre émis doit être «  discret » macroscopiquement et donc très différent de la prédiction de Hawking. J’appellerai cet effet l’effet cinématique de Bekenstein-Mukhanov. Malheureusement, l’effet cinématique de Bekenstein-Mukhanov disparait si nous remplaçons cette version naïve par le spectre (41 ) calculé par la gravitation quantique à boucles. Dans la gravitation quantique à boucles les valeurs propres d’une aire deviennent exponentiellement denses pour un trou noir macroscopique, et donc le spectre d’émission est conforme au spectre thermique prédit par Hawking  Ceci est dû aux détails du spectre  de l’aire (41 ). Une étude détaillée de ce résultat se trouve en [43], mais ce résultat était déjà présent (implicitement, dans la première version) dans [17]. Il est important de remarquer que la densité des valeurs propres ne fait que montrer que l’argument cinématique simple de Bekenstein  et Mukhanov n’est pas valide dans cette théorie, et pas que leurs conclusions sont nécessairement fausses. Comme souligné par Mukhanov, une quantification du spectre émis peut être d’origine dynamique.

·         L’entropie des trous noirs en gravitation quantique à boucles.

Des arguments indirects [105, 106, 45, 210] suggèrent fortement qu’un trou noir de Schwarzschild d’aire macroscopique A se comporte comme un système thermo dynamique régi par l’entropie de Bekenstein-Hawking

(k est la constante de Boltzmann ; ici nous avons posé la vitesse de la lumière  =1 , mais écrit les constantes de Planck et de Newton explicitement). Une compréhension physique et un établissement  de principe de cette relation nécessite la gravitation quantique, et donc est un défi pour toute théorie de gravitation quantique candidate. L’établissement de l’expression de Bekenstein-Hawking  (46 ) pour l’entropie d’un trou noir de Schwarzschild d’aire A via un calcul de mécanique statistique, en utilisant la gravitation quantique à boucles est décrit dans [134 , 135 , 176 ].

Cet établissement est fondé sur l’idée que l’entropie du trou noir doit se traduire par des micro-états sur l’horizon correspondant à une configuration macroscopique donnée. [213, 63, 64, 37, 38]. Des arguments physiques indiquent que l’entropie d’un tel système est déterminé par un ensemble de configurations de l’horizon d’une aire donnée. [176]. Dans la théorie quantique, ces états sont en nombre fini et peuvent être comptés. [134, 135]. Le comptage de ces états en théorie quantique à boucle donne:

(Une version différente d’obtention de ce résultat, a été annoncée par Ashtekar, Baez, Corichi et Krasnov [11].)   est défini au chapitre 6, et c est un nombre réel de l’ordre de grandeur des unités qui résulte d’un calcul combinatoire (en gros, ). Si nous choisissons   , nous obtenons (46 ) [189, 70]. Donc la théorie est compatible avec la constante numérique de la formule de Bekenstein-Hawking , mais n’y conduit pas de façon univoque. La signification précise de ce fait est en discussion. En particulier, la signification de  n’est pas claire. Jacobson a suggéré [127] que les effets de la re-normalisation finie peut influer sur la relation entre la constante de Newton nue et sa valeur effective, et que c’est cela que  reflète. Pour une discussion sur le rôle de   dans la théorie, voir [189 ]. Au sujet de l’entropie en gravitation quantique à boucles voir aussi [194].

 

8 - Principaux problèmes en suspens et principales voies actuelles d’investigation

Contrainte Hamiltonienne.

La cinématique de la théorie est bien comprise, à la fois physiquement (quanta d’aires et de volume, géométrie en polymère) et du point de vue mathématique ( , états de s-nœuds, opérateurs d’aire et de volume). La partie de la théorie qui craint un peu est sa dynamique, qui est déterminée par la contrainte hamiltonienne. Un candidat plausible pour la contrainte quantique hamiltonienne est un opérateur introduit par Thiemann [206, 201, 202]. Les commutateurs de l’opérateur de Thiemann avec lui même et avec les contraintes liées au difféomorphisme ferment, et donc l’opérateur définit une théorie quantique complète et cohérente.  Cependant, il n’est pas certain que cette théorie soit correcte, et quelques variantes de l’opérateur ont été envisagées.

Les doutes sont d’origines diverses. D’abord, Lewandowski, Marolf et quelques autres ont souligné le fait que l’algèbre de contrainte quantique ferme, mais qu’elle n’est pas isomorphe à l’algèbre de contrainte classique de la RG [140 ]. Récemment, une analyse détaillée de ce problème a été réalisée par Marolf, Lewandowski, Gambini et Pullin [90]. La non reproduction de le l’algèbre de contrainte classique a été débattue, et n’est pas nécessairement un problème, car la seule contrainte stricte dans la théorie quantique, à part la cohérence, est que les prédictions physiques invariantes de jauge doivent converger avec celles de la relativité générale classique à la limite appropriée. Toujours est il que, la différence des algèbres peut être vue comme un indice circonstanciel ( pas comme une preuve) du défaut de convergence avec la limite classique. Le problème est techniquement délicat et toujours controversé. J’espère avoir du nouveau pour la prochaine mise à jour de cet article.

Ensuite, Brügmann [53] et Smolin [192 ] ont souligné une sorte d’excès de localité dans la forme de l’opérateur, qui intuitivement semblent en contradiction avec les propriétés de propagation des équations d’Einstein. Finalement en transposant l’opérateur de Thiemann dans le formalisme quadri dimensionnel d’un espace-temps covariant, Reisenberger et Rovelli ont remarqué une absence suspecte de covariance 4d manifeste dans l’action de l’opérateur [160 ], un fait montrant du doigt de nouveau la possibilité d’anomalies dans l’algèbre de contrainte quantique.

Rongé par ces doutes, plusieurs variantes de l’opérateur de Thiemann ont été suggérées. Les opérateurs originaux de Thiemann sont construits en utilisant l’opérateur de volume. Il y a deux versions de l’opérateur de volume dans la literature : , introduit dans [186] et , introduit dans [14, 16, 15]. Voir [139] pour une comparaison détaillée. Originellement, Thiemann pensait que qu’utiliser  dans la contrainte hamiltonienne soulèverait des difficultés, mais il devint clair par la suite, que ce n’est pas la cas [140 ]. Les deux versions du volume peuvent être utilisées dans la définition, produisant deux versions différentes du hamiltonien [140 ]. Ensuite, dans sa version la plus simple, l’opérateur n’est pas symétrique. Comme la contrainte classique du hamiltonien est réelle (sur les états invariant de jauge de SU(2) ), on peut escompter un opérateur quantique correspondant auto adjoint   En conséquence, plusieurs méthodes de symétrisation de l’opérateur ont été considérées ( voir une liste dans [140]). Ensuite, Smolin a considéré quelques modifications ad hoc de la contrainte dans [192].

Finalement le formalisme covariant d’espace-temps dans [160 ] suggère naturellement une “covariantisation” de l’opérateur, décrit dans [160 ] sous le nom de « symétrie croisée ». Cette «  covariantisation » consiste à ajouter à l’arête décrite dans la Figure 3, le sommet, décrit dans la Figure 5, qui est simplement obtenu en réorientant la Figure 3 dans l’espace-temps

Figure 5: Les sommets des symétries croisées

Une analyse complète comparative de ces propositions variées serait fort utile.  

Enfin, le test final de toute proposition pour l’opérateur de contrainte hamiltonienne, doit être cohérent et avoir une limite classique correcte. Donc la solution du problème de la contrainte hamiltonienne est intimement lié à la solution du problème consistant à extraire la limite classique correcte (de la dynamique) de la théorie.

Matière.

Les bases de la description de la matière dans le formalisme des boucles a été établi dans [150, 151, 133, 26, 207, 200 ]. Il reste du travail à faire pour développer une description complète des couplages de base de la matière. En particulier, il y a de fortes présomptions que la quantification à l’échelle de Planck coupe et élimine naturellement les infinis des théories classiques de champs. En particulier dans  [200], Thiemann soutient que la contrainte hamiltonienne régissant l’évolution de la coordonnée temps du champ de Yang-Mills est un opérateur bien défini (Je rappelle que du fait des divergences ultraviolettes, il n’existe pas d’opérateur hamiltonien, en 4 dimensions, rigoureusement bien défini dans les théories de Yang-Mills conventionnelles.) Si ces présomptions se confirment, ce résultat sera très important. Il nous manque toujours des techniques de calcul, qui nous permettraient de relier la contrainte bien définie avec des grandeurs finies observables comme les amplitudes de diffusion.

Formalisme d’espace-temps.

Selon moi, le développement de formalismes d’espace-temps continus, [181, 160 , 33, 144], est un des domaines de développement les plus prometteurs de la théorie, car il devrait être la clé permettant de s’attaquer à la plupart des problèmes en suspens. D’abord, un formalisme d’espace-temps nous délivre des obscurités du formalisme figé d’espace-temps, et il permet une description intuitive “ à la Feynman” de la dynamique de l’espace-temps quantique. Je pense que la limite classique, la description quantique des trous noirs, la diffusion graviton-graviton, juste pour ne citer que quelques exemples devraient être appréhendés bien plus facilement dans le contexte covariant. Deuxièmement, il permet d’appliquer à a théorie quantique à boucles, les idées de Hartle [103] et Isham [119, 120, 123, 122] sur l’interprétation de théories quantiques généralement covariantes. Ceci devrait réduire considérablement les complications de la voie canonique pour aborder les observables généralement covariantes. [169, 167]. Troisièmement, le formalisme d’espace-temps devrait suggérer des solutions pour sélectionner la contrainte hamiltonienne correcte: Il est habituellement plus simple de traiter les invariances dans le formalisme  Lagrangien que dans le formalisme du hamiltonien. Le formalisme de l’espace-temps est juste né, et beaucoup reste à faire. Voir les articles originaux pour les suggestions et problèmes en suspend.

Trous noirs.

L’établissement de la formule d’entropie de  Bekenstein-Hawking est un succès majeur pour la gravitation quantique à boucles, mais reste à être bien comprise. Une dérivation stricte de la théorie complète n’est pas disponible aujourd’hui. Une telle dérivation exige que nous comprenions, ce qu’est un horizon des événements dans la théorie quantique. Autrement dit, étant donné un état quantique de la géométrie, nous devrions être capables de définir et « localiser » son horizon (ou quoi que ce soit qui joue ce rôle dans la théorie quantique). Pour cela, nous devons comprendre comment prendre en compte la dynamique quantique, comment décrire la limite classique ( pour trouver les états quantiques qui correspondent aux solutions classiques des trous noirs), et aussi comment décrire les états quantiques asymptotiquement plats.

A côté de ces interrogations formelles, à la racine du problème de l’entropie du trou noir, il y a un problème physique de base, qui d’après ce que j’ai compris est toujours en suspens. Le problème est de comprendre comment nous pouvons utiliser les idées et techniques de base de la  thermodynamique et de  la statistique dans un contexte de covariance générale.  Pour apprécier la difficulté, remarquons que la mécanique statistique fait un usage intensif de la notion d’énergie (disons dans la définition des ensembles canoniques et micro canoniques): mais il n’y a pas de notion naturelle d’énergie associée à un trou noir ( ou il y en a trop). L’énergie est une notion extrêmement capricieuse en gravitation. Alors, comment définir l’ensemble statistique? Autrement dit: Pour calculer l’entropie (disons dans le micro canonique) d’un système normal, nous comptons les états d’une énergie donnée. En RG nous devrions compter les états de « quoi » donné ? On peut dire : états d’un trou noir d’une aire donnée, mais pourquoi cela ? Nous comprenons pourquoi le nombre d’états d’une énergie donnée régit le comportement thermodynamique des systèmes normaux. Mais pourquoi le nombre d’états d’une aire donnée régirait elle le comportement du système, c’est à dire ses échanges de chaleur avec l’extérieur ? Une discussion physique est tentée dans [178].

Comment extraire une physique de la théorie.

Supposons que nous choisissions une contrainte hamiltonienne spécifique. Alors, nous avons, en principe, une théorie quantique bien définie. Comment en extraire de l’information physique ?  Quelques prédictions physiques de la théorie, comme les valeurs propres, des aires et volumes ont déjà été extraites de la théorie par des méthodes variées et ad hoc. Mais existe-t-il une technique générale, correspondant, disons en QFT, au traditionnel développement perturbatif de la matrice S , pour décrire la dynamique complète du champ gravitationnel? Probablement, de telles techniques générales vont impliquer un certain type de développement, du fait que nous n’espérons pas résoudre la théorie exactement. Des tentatives pour définir des développements physiques ont été initialisées dans [175] et dans une forme différente dans [160]. Idéalement, on voudrait une ligne directrice générale pour calculer les amplitudes  de transition par le développement de certains paramètres autour d’un état. Pouvoir calculer les amplitudes de diffusion serait de la plus haute importance, pour se relier au langage de la physique des particules et comparer avec les prédictions de la théorie des cordes

Limite Classique.

Finalement, pour prouver que la gravitation quantique à boucles est un candidat sérieux pour décrire l’espace-temps quantique, nous devons prouver que sa limite classique est la RG ( ou du moins se recouvre avec la RG, là où elle est bien testée). La liaison traditionnelle entre la gravitation quantique à boucles et la RG classique se fait via la notion de tissage, un état quantique qui semble «  semi classique » à des distances grandes par rapport à l’échelle de Planck.  Cependant, les tissages étudiés jusqu’à présent [23, 99] sont des tissages 3d, en ce sens qu’ils ont des valeurs propres d’une métrique tridimensionnelle. Un tel état correspond à une valeur propre de position pour une particule. Le comportement classique est obtenu non pas par ces états mais plutôt par des paquets d’onde qui sont faiblement étendus en position et en impulsion. De même, l’espace-temps de Minkowski classique  devrait avoir un étalement  dans sa métrique 3D ainsi que dans son impulsion, car le vide quantique électromagnétique  a une petite étendue quantique dans le champ électrique et magnétique. Pour retrouver la RG classique, à partir de la gravitation quantique à boucles, nous devons comprendre de tels états. On trouvera des investigations préliminaires dans cette direction dans [126, 125], mais ces articles datent de plusieurs années, et furent écrit avant les progrès importants  de la théorie. Une autre direction consiste à étudier directement les états cohérents dans l’espace des états de la théorie.

Comme ces notes brèves le montrent, les problèmes en suspens dans la gravitation à boucles sont interconnectés. Dans un sens, la gravitation quantique à boucles s’est développée en visant le régime non perturbatif, et les résultats obtenus aujourd’hui sont dans ce contexte. Le problème principal, est de retomber sur le comportement à grande distance classique. C’est-à-dire, étudier sa limite classique et la dynamique des excitations de basse énergie sur un arrière- plan semi-classique. Comprendre cet aspect de la théorie nous assurerait  que la théorie que nous développons est en fait une théorie quantique du champ gravitationnel, nous permettrait de comprendre les trous noirs quantiques, clarifierait l’origine des infinis dans les hamiltoniens de matière et ainsi de suite. Encore dit autrement, ce que nous avons le plus besoin de comprendre est la structure du vide (Minkowski) en gravitation quantique à boucles.

 

9 - Brève synthèse et Conclusion 

Dans ce chapitre, je vais résumer brièvement l’état de la gravitation quantique à boucles et ses résultats principaux. Au niveau mathématique, la théorie c’est du béton, et elle est comprise de différentes manières. Des problèmes longtemps en suspens comme l’absence de produit scalaire, la difficulté de maîtriser la surcomplétude de la base par boucle et le problème d’implémentation des conditions réelles appartiennent au passé. La cinématique est donnée par l’espace de Hilbert , défini au chapitre 6.2, qui supporte une représentation des opérateurs de base : les opérateurs de boucles (22 -23 ). Une base adéquate dans  est fournie par les états des réseaux de spin, définis au chapitre 6.3. Les états invariants par difféomorphisme sont donnés par les états des s-nœuds, et la structure et les propriétés  des états quantiques (invariant par difféomorphisme) de la géométrie sont plutôt bien compris (Chapitre 6.8). Ces états donnent une description d’un espace-temps quantique en termes d’excitations de type «  polymères » de la géométrie. Plus précisément, en termes d’excitations élémentaires représentant des quanta d’aire

La dynamique est codée dans la contrainte hamiltonienne. Une version bien définie de cette contrainte existe (voir équation (35 )),et donc une théorie cohérente existe, mais nous n’avons pas pu encore prouver que la limite classique est la relativité générale. Des versions différentes de la contrainte du hamiltonien ont été proposées et sont sous investigation. Dans tous ces cas, le hamiltonien a la propriété fondamentale de n’agir que sur les nœuds. Ceci implique que cette action est naturellement « discrète » et combinatoire. Ce fait est sans doute à la racine du caractère fini de la théorie. Une large classe d’états physiques qui sont des solutions exactes de la dynamique est donnée par les s-nœuds sans nœuds ; les autres états exacts sont liés aux invariants de la théorie des nœuds. (chapitre 7.1).

La théorie peut être étendue pour inclure la matière, et il y a de fortes présomptions que les divergences ultraviolettes n’apparaissent pas. Une version covariante d’espace-temps de la théorie, sous forme de sommes topologique sur des surfaces est en développement (chapitre 6.10).

Les résultats principaux déduits aujourd’hui de la théorie sont constitués du calcul explicite des valeurs propres d’aire et de volume, certains donnés dans les équations (41 -45 ), et le calcul de la formule de l’entropie d’un trou noir (équation 41 ). Les deux problèmes principaux ( en relation) sont la compréhension de la description du régime à basse énergie dans la théorie  et de choisir la version correcte de la contrainte hamiltonienne.

 

9.1 Conclusion 

L’histoire de la gravitation quantique a alterné des moments d’exaltation et de déception. Je me rappelle bien, étant jeune étudiant avoir entendu à une conférence prononcée  par un célèbre physicien, que le problème de la  gravitation quantique était résolu (je pense que c’était de la supergravité qu’il s’agissait). La liste des théories qui se sont déclarées un peu trop rapidement finales et qui sont tombées aux oubliettes ou ont été phagocytées par d’autres, incline à la prudence des déclarations sous peine de porter ombrage selon moi, à la crédibilité de la communauté de physique théorique.

La gravitation quantique à boucles, dans ma vision de la physique, est ce que l’on peut faire de mieux, aujourd’hui, comme tentative de compréhension de l’espace-temps quantique, d’un point de vue non perturbatif, indépendant d’un espace de fond.

D’un point de vue théorique, nous avons de bonnes raisons de penser que cette approche peut représenter une théorie quantique cohérente avec la limite classique, mais nous avons aussi quelques indications qui sont de nature à contrarier ce bel optimisme. La théorie produit définitivement une image physique de l’espace-temps quantique et des prédictions chiffrées. Mais un moyen systématique pour extraire l’information physique, fait toujours défaut. Nous n’avons pas de confirmation expérimentale de la théorie ni directe, ni indirecte. Le spectre des aires et volumes calculé par la théorie peut être ou ne pas être physiquement correct. J’espère vivre assez longtemps pour le savoir.

10 - Remerciements

Je suis spécialement reconnaissant à Michael Reisenberger, Roberto DePietri Don Marolf, Jerzy Lewandowski, John Baez, Thomas Thiemann et Abhay Ashtekar pour avoir minutieusement lu le manuscrit, pour leurs suggestions détaillées et leurs critiques féroces. Leur apport a été  immense et leur aide précieuse. Je suis reconnaissant à tous mes amis dans la communauté,  pour le plaisir que nous avons à faire de la physique ensemble. Ce travail a été soutenu par le fond NSF Grant PHY-95-15506.