Chapitre 12

Croissance des structures dans l’univers

 

12.1 Introduction

 

L’analyse de la formation et croissance des structures dans l’univers primordial, est une des branches les plus actives de la cosmologie moderne. Le fait que l’on parte de très faibles perturbations initiales (celles mesurées dans le RFC) va permettre un traitement mathématique de type perturbatif, à partir d’une solution d’ordre zéro ( homogène) des équations du fluide cosmique, en utilisant les équations hydrodynamiques .

Dans le modèle FLRW, pour des échelles petites devant H-1, nous pouvons, au premier ordre, utiliser la dynamique newtonienne, en y incluant toutefois le facteur d’échelle a (t). Les équations concernées sont :

 

L’équation de continuité du fluide

L’équation d’Euler de l’hydrodynamique

L’équation de Poisson de la gravitation newtonienne

Ces équation ont la solution suivante à l’ordre zéro (fluide homogène)

La première décrit simplement la dilution du fluide par l’expansion de l’univers, le seconde montre le « flux de Hubble » conformément à la loi v0 (t,r) = H(t)r, valable pour tous les observateurs comobiles.

La troisième résulte de la résolution de ( 12.3) pour ρ constant.

Comme nous avons des équations spatiales homogènes pour l’ordre zéro, nous savons que nous pouvons essayer des solutions de type ondes planes pour traiter les perturbations, ce qui nous conduit à passer en transformée de Fourier. Il est pratique de traiter l’expansion en utilisant les coordonnées d’espace comobiles x = r / a(t). Alors, par exemple, ρ0 (t,r) à ρ0(t,x) = ρ0 (t) : En coordonnées comobiles la densité du fond est indépendante du facteur d’échelle.

Ecrivons les équations régissant perturbation au premier ordre

 

|δ|, |v1| et |Φ1| << 1. Si on effectue la transformée de Fourier de toutes les expressions, par exemple

 

En utilisant la formule inverse

On trouve après quelques calculs

 

vs est la vitesse du son,

Que la vitesse du son intervienne est naturel, puisqu’il relate comment la perturbation se propage dans le fluide. Pour un fluide relativiste avec une équation d’état p = ρ/3, nous voyons que

(Ce qui est de l’ordre de grandeur de la vitesse de la lumière), tandis que pour un gaz d’hydrogène neutre

Ce qui est beaucoup plus petit.

La chute brutale de la vitesse du son, au moment du découplage matière lumière, a de nombreuses  conséquences intéressantes.

 

12.2 La masse de Jeans

 

De (12.8) nous voyons que le signe de l’expression

va déterminer, si les solutions sont croissantes ou décroissantes.  Comme d’habitude en transformée de Fourier, à un vecteur d’onde de Fourier k correspond une longueur d’onde comobile λcom  = 2π / |k| : la longueur d’onde physique

On voit dans (12.8) que seules les structures d’échelle supérieures à la longueur de Jeans  λJ peuvent croître ( pour des valeurs inférieures de λphys  les solutions sont des oscillations amorties), où 

La masse contenue dans une sphère de rayon λJ / 2 est appelée la masse de Jeans et est donnée par :

12.3 Croissance des structures en régime linéaire

Pour k petit ( longueurs bien supérieures à la longueur de Jeans), le terme proportionnel à dans (12.8) peut être négligé. Pour un univers FLRW plat dominé par la matière , a (t) α  t2/3, a’/a = 2 / (3t) et ρ0 = 1/(6πGt²) , alors

ce qui donne la solution

 

On voit qu’un mode est une fonction croissante du temps en t2/3, et l’autre décroissante en 1/t. Bien sûr c’est le mode croissant qui est intéressant dans la formation des structures, il permet à une petite perturbation de s’amplifier sous l’action de la gravitation. Comme le mode croissant suit la même loi que le facteur d’échelle a(t), le contraste de densité croît linéairement en fonction du facteur d’échelle.Une région initialement plus dense que la moyenne, dans un univers FLRW avec Ω =1, va se comporter comme un mini univers avec Ω>1, c’est à dire s’étendre jusqu’à une taille maximum puis se re-contracter. Cette région effondrée va s’identifier à un halo de galaxies ou un amas de galaxies. La dynamique détaillée, après que le contraste de densité soit devenu supérieur à un (régime non linéaire) est plutôt complexe, car il doit probablement impliquer une interaction de la matière noire et de la matière baryonique. La seule solution pour étudier ces cas est de faire appel à des simulations, de systèmes à N corps, sur de gros systèmes informatiques.

On suppose généralement que le champ de densité δ (x) à un moment donné est aléatoire de type gaussien. En fait c’est ce qui est prédit par les modèles d’inflation, quand les fluctuations quantiques du champ de l’inflaton sont sur-amplifiées par le facteur exponentiel inflationniste  pour devenir éventuellement les germes des structures cosmiques. Définissons la variance des fluctuations par

 

La fonction d’auto corrélation ξ (|x2-x1|) =ξ (x)  est définie par

 

Dans l’approximation de phase aléatoire, tous les modes de Fourier δ (k) sont non corrélés, ce qui signifie que :

La fonction P(k) est le spectre de puissance des fluctuations. Dans la plupart des modèles P(k)= kn, avec un indice spectral variant entre 0,7 et 1.3. La valeur n =1 correspond à ce qu’on appelle un spectre des fluctuations invariant d’échelle, car on peut montrer que pour un tel spectre les fluctuations δ ont la même valeur à toutes les échelles de longueur. L’inflation prédit que les perturbations doivent être presque invariantes d’échelle.

Les fluctuations mesurées via le spectre de puissance P(k) dans le RFC sont généralement décrites en termes de partie «primordiale » Pi(k), qui représente les fluctuations générées (peut être par l’inflation) au tout début de l’univers. Pour retrouver ce qu’on observe aujourd’hui, nous devons connaître comment les fluctuations du champ photonique ont été influencées par les autres effets au voisinage du temps de découplage et de la domination par la matière. Cela dépend de la nature de la matière noire, mais peut être exprimé en termes de fonction de transfert T(k) par

 

Si l’univers était toujours dominé par le rayonnement, T(k) = 1 pour tout k, et le spectre des fluctuations, aujourd’hui, est le spectre primordial. Avant la recombinaison la vitesse du son était de l’ordre de grandeur de la vitesse de la lumière, et la masse de Jeans très grande (voir équation 12.15). En fait la longueur de Jeans était supérieure à la taille de l’horizon, donc les perturbations sous l’horizon croissaient très lentement (au mieux logarithmiquement). Au moment de l’égalité de densité  énergétique matière / rayonnement  ( z ≈ 1000), les perturbations de la matière noire ont pu commencer à croître, mais les photons et les baryons était toujours fortement couplés jusqu’au découplage des photons. A ce moment la vitesse du son chuta fortement (de 108 m/s à 104 m/s) si bien que la longueur de Jeans devînt subitement inférieure à la taille de nos galaxies actuelles. Alors les perturbations de la matière ont pu commencer leur croissance à toutes les échelles.

Comme l’univers s’étendait, l’horizon continuait à s’accroître.  Ceci signifie , que les perturbations, à l’échelle co-mobile, tôt ou tard devinrent inférieure à celle de l’horizon ( on dit qu’elles entrent dans l’horizon). La matière noire froide entrée dans l’horizon, après l’égalité entre matière et rayonnement  ne devrait pas avoir été beaucoup modifiée par rapport au spectre de puissance primordial, donc T(k) ≈ 1 pour ces modes. L’échelle de longueur co-mobile correspondant à l’horizon au moment de légalité vaut environ

 

Pour des échelles plus petites que cela, on peut montrer qu’il y a une atténuation de T(k)≈ k-2.

Pour la matière noire « chaude », l’atténuation aux petites échelles est bien supérieure, du fait de la vitesse relativiste des particules qui contrarie la condensation des petites fluctuations.

 

12.4 Quel lien avec les fluctuations de température du RFC ?

Le champ de contraste de densité δ est défini dans tout l’espace et le temps. Cependant quand nous observons les fluctuations de température du RFC, nous en voyons une projection sur la sphère céleste, et à un instant précis, celui de la dernière diffusion des photons. Dans cette situation, au lieu d’utiliser la transformée de Fourier à trois dimensions, il est plus pertinent d’utiliser sa version sphérique à deux dimensions. Comme tout un chacun sait, toute fonction f(θ,Φ) ( ou de façon équivalente f (n) avec n, vecteur unitaire) sur la sphère unitaire peut être décomposée en harmoniques sphériques Ylm (θ,Φ) :

En particulier les fluctuations de température ΔT/T(n) peuvent être décomposées et la fonction de corrélation angulaire

 

cosθ est le produit scalaire de n.n’. Du fait de l’approximation de phase aléatoire, C(θ) va être la forme :

 

avec Pl(cosθ) un polynôme de Legendre.

Le jeu de coefficients Cl pour tous les l caractérise le spectre de fluctuation complètement. La seule façon de calculer ces coefficients pour toutes les échelles est d’intégrer les équations de transport numériquement. Le résultat va dépendre du spectre initial (primordial) de la fluctuation, de la nature de la matière noire, de la proportion de matière baryonique, de la constante de Hubble et de quelques autres paramètres. Cela signifie que si on arrive à mesurer disons quelques centaines de ces Cl ‘s, nous aurons suffisamment d’information (de redondance) pour déterminer les paramètres cosmologiques avec une grande précision.

Ce a été fait par WMAP, et des expériences embarquées en Ballon, et cela a tenu ses promesses. Le futur satellite Planck sera équipé d’un miroir de 1,3 m procurant une résolution angulaire de 10 minutes d’arc dans une gamme de fréquence de 30 à 850 GHz, ce qui devrait permettre d’obtenir une précision de 1%.

La forme du spectre des Cl ‘s doit avoir certaines caractéristiques, un plateau  pour les l petits et ensuite une série de pics (pics Doppler) pour des l plus élevés (c’est à dire des échelles angulaires plus petites). Ces pics caractérisent les oscillations du fluide cosmique due à l’action contraire de la gravitation et de la pression photonique. Une compilation des résultats disponibles, en 2000, est donnée en Figure 12.1. Des exemples des spectres prédits en fonction de divers modèles sont donnés en Figure 12.2 

 

Figure 12.1 : Observations des anisotropies du RFC en 2000. On a tracé les amplitudes quadripolaires pour un spectre d’anisotropies plat (spectre invariant d’échelle des perturbations primordiales, non traité, serait une ligne horizontale). Les barres d’erreurs verticales sont à 68% d’intervalle de confiance, et la limite haute à 95%. Les barres horizontales indiquent la fourchette de valeurs de l échantillonnées. La courbe indique le spectre escompté pour un modèle standard CDM (Ω0 =1, ΩB= 0,05, h=0,5). Une comparaison plus réaliste avec les modèles impliquerait une convolution de cette courbe avec chaque fonction de filtrage expérimentale. G.Smoot, astro-ph/9705135 (1997)

[ Les résultats de WMAP, ont donné cette courbe avec beaucoup plus de précision]

 

 

Figure 12.2 : Exemples de prédictions théoriques l(l+1) Cl ( normalisée à Cl =10) ou spectre de puissance des anisotropies. sCDM est le modèle standard avec matière noire froide et h=0,5 et ΩB = 0,05. ΛCDM est un modèle ouvert avec Ω0 = 0,3 et h = 0,75. »Strings » est un modèle où les cordes cosmiques  sont la cause principale de formation des structures à grande échelle. Ces diagrammes montrent comment des mesures précises du spectre de puissance de l’anisotropie du RFC  pour l > 100, ce qui sera possible par les satellites WMAP [ c’est fait] et Planck permettra de distinguer parmi ces modèles lequel doit être privilégié. G.Smoot, astro-ph/9705135 (1997)

 

12.5 Résumé

 

-         En raison de la faible amplitude des anisotropies du RFC, une méthode d’analyse linéaire de la croissance primordiale de ces perturbations peut être utilisée. Les perturbations croissent en a(t)

-         La taille des perturbations qui peuvent se développer sous l’action de la gravité est donnée par la longueur de Jeans.

qui dépend elle même de la vitesse du son vs, où

 

après le découplage, la vitesse du son, et donc la longueur de Jeans baisse brutalement.

-         La matière noire froide donne une loi de puissance à toutes les échelles dès que l’univers est dominé par la matière, tandis que la matière chaude (comme les neutrinos) ne permet que la formation des très grandes structures du fait des vitesses relativistes des particules.

-         La meilleure façon d’observer les fluctuations primordiales de densité c’est d’observer les variations de température induites. Les expériences actuelles embarquées sur satellite, du fait de leur précision de mesure à quelques %, sont capable de discriminer parmi les scénario possibles ceux qui sont plausibles.