Chapitre 11

Le rayonnement de fond cosmologique (RFC)

( CMBR Cosmic Microwave Background Radiation, ou CMB )

11.1 La première révolution : Le rayonnement à 2,7 K

 

La détection du RFC fût la confirmation la plus spectaculaire de l’hypothèse du Big Bang après la découverte de l’expansion de l’univers par Hubble.En 1965, deux radio astronomes des Bell Telephone Laboratories, Arno Penzias et Robert Wilson, découvrirent ( ce qui leur valut le prix Nobel en 1978) par hasard ce rayonnement. Ils n’avaient pas réussi à éliminer, un  bruit parasite supplémentaire à 4080 MHz capté par leur antenne  de 6 mètres, à Homdel, New Jersey. Ce bruit de fond était isotrope et les auteurs estimèrent que la température de ce bruit correspondait à une température de 3,5 +- 1 Kelvin.

L’explication de la source de ce bruit fut publié, en tant qu’article associé, dans le même numéro de l’Astrophysical Journal par le groupe de Princetown constitué de R.H Dicke, P.J.E Peebles, P.G Roll et D.T Willkinson. Récapitulons l’origine du RFC. Dans un milieu dense, comme celui de l’univers primordial  peu après le big bang, nous avons vu que le rayonnement électromagnétique  était généré et tenu à l’équilibre par les réactions du type :

 γ + γ <-> e+ + e- pour des températures T ≈ me.

L’expansion a refroidi de façon adiabatique ce rayonnement. Sous le seuil d’énergie de production de paires,  les photons furent maintenus à l’équilibre par des réactions du type diffusion Compton sur les électrons libres.

e- + γ à e- + γ

Les électrons, ensuite, furent liés aux protons via l’interaction électromagnétique. En fait quand la température tomba en dessous celle du seuil de photo ionisation pour l’hydrogène, la réaction

H +  γ  <-> p + e-

Ne fut plus en équilibre thermique et les photons se découplèrent de la matière et se déplacent depuis librement dans l’univers entier. Nous avons vu dans l’équation ( 8.36) que ceci s’est produit quelques centaines de milliers d’années après le Big Bang à une température de « gel » de 0,25 eV. Ces photons voyagent depuis 13 Milliards d’années environ sur des géodésiques, sans diffuser, à travers l’univers, (l’incertitude est lié à l’incertitude sur la constante de Hubble) et leur énergie est tombée juste sous 3 K, du fait de l’expansion.

George Gamow et ses collaborateurs avaient prédit l’existence d’un rayonnement résiduel dans le domaine micro ondes en 1946. Bien que s’étant partiellement trompé dans leurs hypothèses, la valeur de leur prédiction était assez proche de la valeur mesurée 19 ans plus tard. En fait Gamow cherchait à prouver que tous les noyaux, y compris les lourds avaient été produits au Big bang, ce rayonnement fossile en était un effet marginal.

Aujourd’hui, la température de ce rayonnement a été mesurée avec une étonnante précision :

2,728 +- 0,004 K ( 95% de confiance), par des radiomètres aéroportées [ WMAP a fait mieux depuis]. Les détecteurs au sol sont désavantagés par le rayonnement associé à  la température ambiante ( 300K) qu’il faut soustraire ; La figure 11.1 montre les résultats obtenus de 1985 à 1996. Le corps des données est fourni par le satellite COBE ( instrument FIRAS) lancé en 1989.

Le RFC s’est découplé de la matière à un z d’environ 1100 quand le facteur d’échelle était 1100 fois plus petit qu’aujourd’hui, et donc l’énergie 1100 fois plus garnde, que ce que nous observons aujourd’hui.

 

11.1.1 Nature thermique du RFC

Dans le modèle du Big bang chaud, les photons dans l’univers primordial étaient continuellement crées, absorbés ou annihilés et réémis, l’univers était un corps noir quasi parfait.

Dans de telles conditions physiques, où un ensemble de photons est maintenu à l’équilibre thermique avec son environnement, à une température T, le nombre moyen de photons par mode d’oscillation est donné par la distribution de Planck

 

ω = 2π/λ = 2πν est la pulsation du mode d’oscillation  de longueur d’onde  λ = 1/ν ( c= 1 comme d’habitude)

 

Figure 11.1 : Mesure précise du spectre du RFC. La ligne continue correspond à un corps noir parfait à 2,73 K, qui correspond très bien aux mesures en particulier près du maximum d’intensité. Le spectre est moins contraint aux fréquences en dessous de 3 GHz ( 10 cm et +)

Origine G. Smoot, astro-ph/9705101 (1997) mis à jour .

 

Nous avons donné l’expression bien connue du spectre de rayonnement du corps noir au chapitre 7.2, mais ici nous allons entrer un peu plus dans les détails pour introduire un mode de description de Fourier qui sera utile pour la discussion des fluctuations du RFC. Pour obtenir le spectre global, il faut multiplier l’équation 11.1 par le nombre de modes d’oscillation par unité de volume.

Pour obtenir ceci, d’abord, pour un temps cosmique t, il faut diviser l’espace entier en un réseau de cellules identiques de volume V = L3, où la longueur de chaque côté, L, est telle que :

 

λ = 2π/k est la longueur d’onde la plus grande que nous considérons.

Ensuite nous imposons la condition aux limites que l’onde plane de chaque mode d’oscillation,doit être identique dans chaque cellule

 

Remarquons que la contrainte de périodicité, n’a pas d’impact significatif, tant que la taille de la « cellule » considérée ( cf 11.2) est grande devant la longueur d’onde.

En imposant les conditions de périodicité ( 11.3), le vecteur de propagation se quantifie :

 

les composantes de n ( nx, ny, nz) sont une combinaison quelconque d’entiers positifs, négatifs ou nuls.

Alors le nombre d’états possibles ( ondes planes) de vecteur de propagation compris entre k et k +dk est :

 

dans la dernière étape nous avons tenu compte du fait que le rayonnement est émis dans toutes les directions et que l’angle solide d’intégration est donc de 4π.

Nous en déduisons qu’il y a (2π)-3.4πk²dk états de photons d’énergie E = k = ω par unité de volume. Comme le nombre de photons d’énergie E est donné par l’équation (11.1), nous pouvons maintenant calculer le nombre moyen de photons par unité de volume de pulsation comprise entre ω et ω + dω, dans un gaz de photons à la température T. Si on tient compte des deux polarisations possibles  pour chaque photon de pulsation ω ( c’est dire que gγ = 2), des équations (11.1) et (11.5), nous pouvons déduire  ( en réinsérant les facteurs c, h , kB , temporairement  pour être plus explicite) :

Nous avons démontré ce résultat que nous aurions pu dériver directement des équations (7.15) et (7.16).

Que devient la température des photons quand l’univers s’étend ?

Pour prédire ce qu’on peut observer aujourd’hui, des milliards d’années après le découplage du rayonnement, nous devons nous livrer à un petit exercice. De l’équation (4.55) il s’ensuit qu’un rayonnement de pulsation initiale ω0, est plus tard est décalée vers le rouge de :

 

Après le découplage, l’univers est devenu transparent au rayonnement. Comme le rayonnement ne subit aucune interaction le nombre de photons doit être conservé.

Pour obtenir la densité de photons par unité de fréquence qu’on peut observer aujourd’hui, nous devons introduire la transformation de variable de l’équation (11.7) dans l’équation (11.6)

On voit que le spectre de corps noir est conservé par cette transformation, l’échelle étant proportionnelle à l’inverse du volume de l’univers. La température du corps noir décroît linéairement avec l’échelle radiale, (1+z)

 

L’énergie différentielle du spectre de corps noir , u (ω)dω, est obtenue en multipliant par l’énergie du photon, hω, dans l’équation (11.6)

 

Exemple 11.1

Estimer la fraction de l’énergie totale de l’univers, Ω, correspondante aux phons du RFC, en intégrant l’équation (11.10)

Réponse :

L’énergie totale sous forme de rayonnement de corps noir, ργ, pour l’ensemble des fréquences est donnée par :

 

Pour simplifier le calcul, introduisons un paramètre sans dimension ξ :

Equation (11.11) peut alors être réécrite

l’intégrale définie est juste une valeur numérique

Alors nous arrivons à la relation de Stefan Boltzmann bien connue

 

Nous avons vu au chapitre 4.3 que la densité critique, limite entre un univers ouvert et un univers fermé est :

 

donc, la contribution du rayonnement fossile( T = 2.73K) à la densité totale d’énergie de l’univers est : 

Cette faible valeur montre que l’univers est aujourd’hui dominé par l’énergie de la matière

 

11.2 La deuxième révolution : L’anisotropie

Le haut niveau d’isotropie du RFC constaté est en accord avec le scénario du Big bang, mais il pose le problème de l’anisotropie de l’univers aujourd’hui. Ce que nous voyons autour de nous est très inhomogène. La température et la densité des galaxies diffère très nettement de celles de l’espace autour d’elles (nous avons déjà vu quelques subtilités supplémentaires, liées à ce qui est appelé le problème de l’horizon : cf chapitre sur l’inflation).

 

11.2.1 Fluctuations de température et perturbations de densité.

 

Dans le modèle du Big bang les structures telles que nous les observons aujourd’hui résultent d’une formation par instabilité gravitationnelle. De petites perturbations de densité dans la matière globalement homogène de l’univers primordial, du fait de l’action de la gravitation, vont croître et peuvent produire les galaxies et étoiles telles que nous les connaissons aujourd’hui.

L’observation de tels germes de fluctuations de densité par COBE et WMAP  a projeté la cosmologie dans une nouvelle ère. Des anisotropies de 10-5 de la température du RFC ont été détectées par COBE dès 1992 et affinées par la suite. De telles variations, présentes dans des parties du ciel, interviennent quand les photons proches d’une région surdense se voient décalés vers le rouge, lors de la dernière diffusion, car ils ont à vaincre un puit de potentiel pour s’échapper ;

A large échelle, comme l’a observé l’instrument DMR à bord de COBE avec une résolution de 10° environ  [ puis WMAP avec une résolution bien meilleure] , l’anisotropie de température est, comme indiqué ci dessus, une conséquence de l’anisotropie de densité : L’effet Sachs Wolfe. Nous déduirons bientôt cette relation entre les fluctuations de  température observées dans le ciel et le potentiel gravitationnel sous jacent.

La conservation de l’énergie implique que les photons se déplaçant dans un potentiel gravitationnel  Φ variable perdent de l’énergie selon ( remarquons que nous avons défini Φ avec un signe moins, par rapport à avant)

 

Où l’indice 0 définit les fluctuations de température observées, et les termes avec l’indice e décrivent la fluctuation physique de température et le champ gravitationnel au point d’émission.

Le premier terme du membre de droite correspond à la fluctuation intrinsèque de température dans l’univers primordial, et le second le puit de potentiel dans lequel les photons sont plongés.

Si les fluctuations sont adiabatiques, on escompte un nombre de photons plus grand que la moyenne dans le puit de potentiel, c’est à dire une température plus élevée. Par conséquent, les deux termes de droite de l’équation (11.16) vont partiellement se compenser. En particulier, comme la surdensité dans le puit de potentiel correspond à un point chaud, on escompte que la température intrinsèque soit proportionnelle au potentiel gravitationnel :

Nous avons trouvé en (11.9) que la température est inversement proportionnelle au facteur d’échelle, aT= Constante : c’est à dire, Δ (aT) =0. Ceci implique

Pour une équation d’état , p = αρ, il découle des équations d’Einstein de l’expansion pour un univers plat , que la dépendance du facteur d’échelle , en fonction du temps est ( voir équation (4.28))

ce qui signifie

 

Rappelons que le temps est ralenti dans un champ de gravitation fort selon (3.39)

 

de sorte que

nous trouvons en insérant (11.20) dans (11.18) et (11.17)

 

En combinant avec équation (1.16), nous obtenons le résultat final du calcul

 

Pour un univers dominé par la matière, α = 0, alors la mesure de la fluctuation de température correspond à l’amplitude du puit de  potentiel multiplié par un facteur 1/3 :

Remarquons que nous avons deux effets en compétition : le décalage vers le rouge d’origine gravitationnel qui abaisse la température des régions denses, et le réchauffement causé par la compression  de la matière dans les régions denses. Ils se compensent en partie, mais l’effet résultant fait apparaître un refroidissement dans les régions plus denses.

L’instrument DMR a mesuré des fluctuations de température ΔT/T de l’ordre de 10-5.

Ceci peut être interprété comme des variations, dans l’espace, du potentiel gravitationnel au moment de l’émission du RFC. Nous avons vu que cela s’est produit à environ z =1100, ce qui correspond à environ 300 000 ans après le Big Bang.

Pour résumer, disons que l’étude des fluctuations du RFC nous permet de déterminer la carte du potentiel gravitationnel au moment du découplage ( la surface de dernière diffusion). La faible résolution angulaire de COBE [corrigée par WMAP]  représente vraiment les fluctuations primordiales du potentiel gravitationnel, car l’horizon causal au moment du découplage, nous apparaît aujourd’hui sous un angle de environ.

 

11.3 La nouvelle génération d’observations

Les mesures de COBE, du spectre à 2.73 K ont été un grand événement pour la science, mais le meilleur reste à venir.  Si les fluctuations à large échelle, à 10° d’écart, sont intéressantes pour comprendre la formation des structures, elles ne reflètent pas les paramètres du modèle standard de la cosmologie : La densité d’énergie due au paramètre de courbure α   k/a², la contribution de la matière (incluant la matière noire), ΩM, la contribution à la densité d’énergie liée à une constante cosmologique non nulle Ωλ et le paramètre de Hubble H0. Avec une résolution angulaire suffisante pour résoudre un domaine causalement connecté, la mesure du spectre de puissance des fluctuations de température va nous fournir des informations qui dépendent fortement des paramètres du modèle standard. Ainsi que nous l’avons indiqué au paragraphe précédent, les fluctuations de densité piègent les photons dans des puits de potentiel.  A l’intérieur de l’horizon causal, la chute va être freinée et éventuellement rejeté par la pression de rayonnement. Dans ces conditions, le fluide baryon-photon va donner lieu à des ondes acoustiques. Les régions de compression ( points chauds) et les régions de déplétion ( points froids)  vont ainsi occuper des volumes en connexion causale. Quand les photons diffusent pour la dernière fois au redshift de recombinaison à z = 1100 environ, un «  instantané » du fluide en oscillation peut être déduit de la mesure du RFC avec une résolution meilleure que [ c’est ce qu’a fait WMAP]

Quel est le rapport avec les paramètres cosmologiques Les oscillations du fluides sont confinés au rayon de Hubble Hrec-1 au redshift de la recombinaison. Donc pour estimer la principale caractéristique de l’anisotropie du spectre à petite échelle, nous devons calculer l’angle sous tendu aujourd’hui par H ( z =z rec)-1

avec DA , distance de taille angulaire dans un univers de Friedmann Lemaître Robertson Walker défini par les équations (4.81) et (4.86). La position du premier pic acoustique de l’anisotropie du RFC, est escompté se trouver à l’échelle angulaire Δθ, ce qui est très dépendant de ΩM et Ωλ, comme montré sur la figure 11.2.

L’amplitude du pic ( qui caractérise l’ampleur de l’anisotropie) augmente avec la proportion de baryon Ωb et dépend aussi fortement de Ωλ . Les fluctuations du RFC à des angles plus petits résultent de modes d’oscillation plus élevés du fluide baryo-photonique. Leur amplitude relative et leur position angulaire nous fournit des informations complémentaires  sur les fractions de contribution à la densité d’énergie de l’univers. En particulier, les pics d’ordre plus élevés nous renseignent sur la nature de la matière noire. Dans le prochain chapitre, nous analyseront plus en détails ces points.

Figure 11.2 : Tailles angulaire de régions causalement connectées ( rH = H-1) à zrec = 1100 en fonction de ΩM Dans la figure de gauche Ωλ  = 0 et dans la figure de droite on a représenté un univers plat Ωλ = 1 – ΩM.

 

11.4 Résumé

 

-         L’observation des paramètres du RFC est en remarquable conformité avec la théorie du Big Bang

-         - la température mesurée du rayonnement fossile aujourd’hui à T0 = Te /(1+z) est de 2,728 +- 0,004K ( 95% IC)

-         L’observation d’anisotropies d’environ 10-5 à l’échelle de plusieurs degrés confirme l’existence de petites perturbations de densité de l’univers primordial ( z > 1000). Elles sont les germes nécessités pour amorcer la formation des structures telles qu’on les connaît dans l’univers aujourd’hui : par exemple les étoiles et le galaxies.

-         Les mesures futures du RFC [ c’est fait aujourd’hui] devraient nous apporter de nombreuses informations complémentaires sur les paramètres cosmologiques  [ c’est effectivement le cas]